L’ART DÉCORATIF jours froids et un peu gris. Gentile Bellini, Carpaccio ou Mansueti nous ont donné de Ve-nise non seulement des perspectives de places, de ponts et de canaux, où l’on retrouve dans ses détails les modes de construction véni-tienne, la forme observée des campaniles ou des fenêtres, les cheminées à tromblon, l’usage de la brique rouge ; on y sent encore non ce qui la différenciait des autres lieux du monde, mais ce qui l’en rapprochait. C’est dans les riches harmonies de Gior-gione, du Titien, des Bonifazio, de Paris Bordone qu’il faut trouver une transposition du ciel et des colorations des paysages vé-nitiens. Mais déjà les peintres sont plus attirés par les spectacles de la vie que par TURNER cette netteté de dessin, cette vigueur du ton local si caractéristique, et comme cette atmosphère confinée des canaux, où les voix résonnent ainsi que dans une chambre. Les grandes peintures qui font partie de la série des Miracles de la Croix, et celles de la Vie de sainte Ursule par Carpaccio, à l’Académie, sont très probantes à cet égard. Il est assez intéressant de remarquer que ce sont encore les effets ternes et gris queCana-letto et Guardi se sont plu à rendre dans leurs vues de Venise. La belle lumière orientale de Venise, celle qui y éclate en été ou même au printemps et à l’automne, ne les a pas séduits. On dirait qu’ils ont cherché à rendre de Venise 6 ■■ Le Soleil de Venise n (National Gallery, 1.ondo, ceux de la nature, et c’est dans le déploiement des pompes et des fêtes qu’ils transportent le sentiment des orchestrations puissantes inculqué par le décor qui les entoure. Tiepolo développe sur les murs du Palais Labia les ordonnances d’une imagi-nation avant tout décorative ; et chez Guardi ou Longhi, nous ne voyons plus que des mascarades ou de menues scènes d’intérieurs. Le sentiment grandiose de Venise semble alors se perdre tout à fait. Les mieux doués mêmes n’en tirent qu’une impression de sen-timentalité fade, un romanesque de ballade, la sensation la plus extérieure et la plus théâtrale où le clair de lune et la gondole