L’ART DÉCORATIF le maçon, le menuisier, le fondeur, le forgeron, le serrurier, le ciseleur, le céramiste, le verrier, le plombier, le décorateur, le fabricant de papiers peints, le tisseur de tapis et vingt autres ont dû établir le matériel nécessaire pour fabriquer chaque piéce, et passer par les inévitables tâtonnements de la chose exécutée pour la pretniére fois, cet immeuble où rien n’a le moindre précédent, l’archi-tecte ait su l’élever dans des conditions de prix telles, qu’il rapporte 5 o/o à son propriétaire avec des loyers de 700 à1500 francs. Pour qui tonnait les difficultés pratiques, les résistances presque invin-cibles de l’industrie à la plus insignifiante innova-tion, c’est là tout simplement un tour de force presque fabuleux ; devant lui, on s’étonne non moins de l’énergie supérieure de l’homme que de la forte personnalité de l’artiste. Ce ne sera pas le moindre service rendu par M. Guimard a l’art, d’avoir prouvé aux propriétaires d’immeubles qu’il est possible de faire valoir son argent et de voir accourir à soi les locataires autrement que dans les boites en plâtre qui leur sont chères. Car — c’est un fait qu’il est bon de publier bien haut –.• cet immeuble où toutes les habitudes sont renver-sées, où le goût du jour est comme assommé d’un formidable coup de poing sur le seuil, trouve non seulement des locataireson ais en refuse ; ses trente-six appartements étaient loués en quelques mois. Et pas à des artistes, pas à des amateurs d’art nouveau à de bons bourgeois séduits par la clarté, la gaieté, le confortable, les bonnes dispo-sitions et la parfaite commodité de tout. e Les uns e nous contait l’autre jour M. Guimard — per-« noient de suite leur parti des charpentes en fer s apparent des plafonds, des papier, peints à pa-rafes ; ils leur plaisaient d’emblée, ou bien ça leur a était égal, ils ne voyaient que les commodités. e D’autres, effarouchés, mc demandaient des chan-e gements, et sur ma réponse que s’ils voulaient e être logés connue partout, rien ne les forçait de e choisir le Castel-Béranger, hésitaient, mais finis-‘, saient par se décider tout de même, un peu trem-s blancs de ce qui leurarriverait dans cette maison bi-e narre, mais on tout était si bien prévu! Celé se lisait e sur leur visage. Trois mois après, tous m’écrivaient e que décidément, ils étaient enchantés de leurs plu-e fonds et de leurs papiers. L’habitude était prise.» Cette acclimatation rapide s’explique facilement. C’est qu’il y a dans l’oeuvre de M. Guimard autre chose que sa forme personnellede dessin ; autre chose qu’un parti-pris de tout tracer en forme de longs crochets il y a une logique inflexible en chaque point, une sincérité absolue, qui rejette le men-songe et veut en tout faire resplendir la vérité, en faire éclater la beauté. Voila ce que les yeux voient aussitôt passée la désorientation du premier mo-ment; les grands parafes deviennent alors secon-daires, et ceux-là même dont les goûts s’accorno-deraient peut-être mieux d’autres formes restent attachés à cette œuvre qui ne leur parle pas une langue de convention, mais les ramène aux sources du vrai à leur insu. l’exposition de M. Guimard au Figaro, coïnci-dant avec le moment oit les étrangers affluent à à Paris, ne sera point perdue pour l’art. Beaucoup en remporteront chez eux des enseignements qu’ils mettront a profit ; et, quel que soit le sort que l’avenir reser, au style personnel de l’artiste, son ouvre resteral’une l’une de celles qui auront le plus contribué à faire entrer l’architecture dans une voie nouvelle. EXPOSITION DES AQUARELLISTES Un compte-rendu complet de l’exposition des aquarellistes, installée cette année, comme les deux précédentes, à la galerie des Champs-Elysées, sor-tirait du cadre de l’Art Décoratif. Il est particu-lièrement agréable d’être dispensé de cette tâche, tant est faible cette fois l’intérêt de l’exposition.Les personnages bien astiqués de M. Vibert qui, pour n’être plus aujourd’hui des cardinaux, n’en sont pas moins toujours les mêmes, la multitude de petites compositions de M. Maurice Leloir dont l’insigni-fiance sucrée tapisse les murs de toute une salle (l’auteur assure que cela raconte la vie d’une femme de qualité au siècle passé), les fades allégories aquatiques de M. Clairin, voire tnéme les aimables chats de M. Lambert — qui passent décidément un peu trop à l’état d’article d’exportation — ne sont pas des sujets de dissertation palpitants ; et si les petites scèneries parisiennes de M. Lugi Loir sont finement vues et finement rendues, si les paysages hollandais de M. Zuber, les échappées de mer et de ciel liguriens de M. Vienal,la s route de la Cor-niche a et le e pied du Cervin » de M. Maxime Claude, les vues de côtes provençales de M. Gaston Roullet et quelques autres travaux, surtout de paysagistes, se tiennent dans une honorable moyenne, quand on a dit de ces oeuvres qu’elles sont bien, on a tout dit. De tout cela, il ne resterait pas grand chose à retenir, n’étaient les paysages d’un artiste qui ne fait pas beaucoup parler de lui et qui mérite peut-être mieux, M. Paul Rossert. Il ne semble pas que M. Rossert se pique de changer la face de son art, ce qui n’empêche que sa peinture lui soit bien per-sonnelle. Ses paysages simples d’Ile-de-France et de Normandie rendent bien ce qu’ils veulent ren-dre ; l’impression des aspects choisis par l’artiste est exactement et fortement donnée. Rien de la nature n’est interprété ni changé ; et néanmoins, il semble que tout s’y simplifie et qu’on n’y soit frappé que de l’ensemble. Le résultat de la manière de M Rossent est que cette peinture de peintre qui ne veut qu’être peintre, se trouve être en même temps parfaitement décorative ; dans un intérieur d’échelle proportionnée à la sienne, elle s’harmo-niscrait a ce qui l’entourerait par sa sobriété de couleurs et vaudrait par l’ensemble de ses lignes abstraction faite de sa valeur intrinsèque d’expres-sion… Mais nous voilà sur le chemin d’entrepren-dre une définition du mot e peinture décorative » — soin que les docteurs de l’art ont oublié de pren-dre jusqu’ici. Arrêtons-nous, la tâche serait trop lourde, et contentons-nous de signaler les pièces de M. Rossert à ceux qui s’intéressent a ces choses. M. E. Grasset, qui continue fidélement ses en-vois annuels au salon des aquarellistes, nous trans-porte vers un mode tout différent du décoratif en peinture. Rien de plus inattendu, que ces interpré-rations capricieuses de nuages et ces conventions de couleur par lesquelles sont soulignés les effets que l’artiste prémédite d’indiquer le plus fortement, alliées au rendu scrupuleux d’autres éléments natu-rels, Il est certain que la e Solitude », I’ e Aurore » et le e Donjon a rendent fortement l’impression des aspects observés, et que le Napoléon que nous présente M. Grasset sous ce titre r ». Quelqu’un est bien tin portrait, et un bon, non de l’empereur, mais du conquérant corse en dépit de la fantaisie personnelle répandue dans ces pièces; et ce n’est /2