L’ART DÉCORATIF LA PETITE DEMEURE D’autres se donnent la tâche de combattre pour assurer le pain et l’abri aux plus petits. Un des côtés de la nôtre est de travailler à ce que les occupants des derniers échelons de la bourgeoisie, qui sont encore des petits, aient leur part des bonheurs que l’art n’a réservés qu’au riche jusqu’ici. Des bonheurs. Car une demeure ois les yeux et le cœur se complaisent est plus qu une jouissance. Elle retient et donne un autre cours à la vie. Dans un cadre de plaisirs vrais, on désapprend à se dépenser à la recherche des faux. Si cela n’est pas toujours exact, ce l’est souvent; c’est assez pour dignifier le but. Que faut-il entendre par «art» dans la petite demeure? Evidemment, il ne peut s’agir des beaux mais coûteux objets que l’on admire dans les expositions artistiques. L’enrichissement des formes de chaque chose, définition qu’on a voulu donner de l’art appliqué, ne peut être celle qui convient ici, car enrichir la forme, c’est ouvrager l’objet; partant, le rendre in-accessible aux humbles. Heureusement, si l’har-monie n’est pas tout l’art, elle peut lui suffire; et celle-ci n’est pas affaire d’argent. D’ailleurs, que la demeure harmonieuse, sans plus, soit de l’art on n’en soit pas, peu importe. Le mot ne fait rien. Oit commence-t-il, l’art? Personne ne l’a dit; mais ce qu’on sait très-bien, c’est qu’il serait désirable qu’on se servit un peu moins de ce mot, car le résultat le plus clair de son abus est de troubler les simples, chez qui l’adjectif «artistique» a fini par éveiller l’idée d’objets compliqués, d’une forme inusitée, sur-chargés de curiosités qu’on n’a pas l’habitude L’ART DÉCORATIF. No. 7. J d’y voir. Si bien que dans la plupart des bou-tiques, si vous voulez qu’on vous présente quelque chose d’à peu près raisonnable, un objet qui, à défaut de beauté, n’offense au moins pas les yeux et le bon sens, il faut d’abord dire au marchand: (Donnez-moi telle chose, surtout, par artistique !» Dans l’arrangement de la demeure, la pre-mière des règles, et la plus méconnue, est d’y mettre les choses en valeur; en d’autres termes, de faire ressortir les éléments qui la com-posent les uns par les autres. L’important n’est pas d’y entasser le plus de choses possible, comme le veut la Parisienne, qui «aime le fouillis»•’ c’est au contraire de n’en mettre que ce qu’il faut pour éviter l’impression de nudité. Sans être très-renseignés sur l’intimité des Grecs, nous en savons assez pour être certains que ces délicats de l’esthétique ne cherchaient pas à faire de leur demeure, comme nous, une sorte d’entrepôt de bric-à-brac. La profusion d’inutilités, l’éta-lage de bibelots dans chaque coin, le besoin de couvrir jusqu’au dernier centimètre de sur-face de quelque «machine» fût-elle mauvaise, plutôt que n’y rien mettre, peuvent -ils faire naître dans l’esprit du visiteur d’autre impression que celle de futilité ou d’ostentation chez le maître de la maison? Donc, pas trop de choses. Le strict minimum d’inutilités, de bibelots; juste ce qu’il faut pour garnir quelque place qui ne peut rester vide et qui ne se prête pas à recevoir l’utile, pour rompre la monotonie d’une surface nue trop vaste ou briser une ligne trop longue. C’est par l’ensemble, bien plus que par le détail, que