L’ART DÉCORATIF N. HANSEN -JACOBSEN Un nom nouveau, et un nouvel art. Jusqu’ici, la sculpture restait en dehors du mouvement qui pousse tous les arts à se faire décoratifs; car ce n’est point par les grâces un peu banales du bibelot que peut se mesurer la valeur décora. tive d’un art qui sait, avec Rodin, Constantin Meunier, Minne, Hildebrandt, s’élever à de si hauts sommets. Pourtant, en prononçant le nom de ces grands artistes, on prononçait aussi le mot de sculpture décorative; chez le Belge Minne et le Hollandais ZijI , on entrevoyait même la création d’un nouvel ornement plastique, tant le rôle architectonique de la sculpture s’affirme dans leurs oeuvres. Mais si l’on eût tenté l’expérience de faire entrer réellement celles-ci comme partie intégrante d’un édifice, que d’incompatibilités eussent encore apparu I Avec le Danois Hansen – Jacobsen, un pas énorme est fait vers le rapprochement. Rien n’est plus loin de nous que d’en prendre prétexte pour vouloir comparer la valeurattistiqueintrinsé-que de ce sculpteur à celle des grands artistes que nous venons de nommer. Son art est autre que le leur et n’a rien de commun avec eux. D’emblée, Jacobsen a creusé l’abîme entre lui-même et les autres. Nous faut-il mesurer la portée de son oeuvre au degré de succès avec lequel il tente cette dangereuse épreuve? Non, ce serait injuste; le principal est qu’il l’ait osé le premier. Après un commencement de carrière plus ou moins heureux dans la voie habituelle — commencement dont le musée de Copenhague garde un souvenir dans un groupe banal de l’artiste — il se mit soudain à tailler dans la pierre ces choses qui sont encore des visages, des têtes, des oiseaux, en un mot tout ce que peut suggérer le monde extérieur, mais qui sont avant tout de l’ornement. Qu’on n’y cherche pas le génie, la maîtrise d’un Rodin; tous les dons par lesquels on atteint ces sommets lui manquent évidemment, et peut-être est-ce la conscience de sa propre faiblesse qui l’a poussé à abandonner la sculpture pure pour l’ornement. Mais sur son terrain, il est dans les premiers. Certes, il prête à la critique; ses formes sont fréquemment inharmonieuses ou indécises; elles ont gardé quelque chose de la barbarie de ces anciens ornements des Danois, qu’on retrouve d’ailleurs chez Willummsen et la plupart des autres artistes modernes du Dane-mark. De ses têtes grimaçantes ne surgit pas toujours un ornement heureux ; trop souvent elles ne sont qu’étranges, et quelquefois même laides. On ne peut faire sortir une forme stylique d’emprunts à la nature que par une défiguration de celle-ci. Le droit d’y prétendre n’appartient qu’à l’artiste capable de greffer sur l’ordonnance-ment accoutumé des choses dans la nature les traits d’un autre ordonnancement purement formel. L’art ne peut rendre l’harmonie de la nature; cette harmonie est le résultat de procédés extrêmement complexes, qui n’appar-tiennent qu’à elle seule. Le principe de l’art ornemental découle de cette remarque. La volonté chez l’artiste ne peut présider seule à l’altération des formes naturelles; il faut l’intuition des moyens par lesquels on peut rattacher en un ensemble harmonique de lignes les éléments sans liaison apparente que fournit la nature, et cette intuition ne se rencontre que chez les artistes bien doués pour l’art orne-mental. Pourtant, la nature reste toujours le régulateur dans un certain sens. On ne pourrait renverser patentent et simplement ses lois primordiales extérieures, celles que l’habitude à gravées dans nos yeux; par exemple, boule-verser, dans le visage humain, la division naturelle de la surface par les yeux, le nez et la bouche; ou bien encore, supprimer toute loi de construction du corps. L’art consiste donc surtout à savoir adapter à une conception neuve certains points fixes fournis par la nature. Dans l’application de cette règle, on peut aller aussi loin qu’on veut, jusqu’à rendre la forme naturelle primitive absolument méconnaissable. Comme tout dans les questions d’esthétique, on ne peut que senter ces choses, non en faire la démonstration logique. Mais des exemples les rendront claires. La tête réproduite page 277 à droite n’est certes pas la copie des formes naturelles; on en chercherait en vain les lignes dans le visage humain; néanmoins, elle ne donne au spectateur l’impression de rien de contraire à la nature. De même, la chouette (p. 278) dans ses simplifications, ne contrarie en rien les habitudes de l’oeil et de l’esprit. C’est encore le cas du ‹