THÉO VAN RYSSELBERGHÊ On lui doit quelques affiches lumineuses, et parmi ses eaux-fortes déjà nombreuses, beaucoup méritent leur place dans les car-tons des plus délicats collectionneurs. Le Café-concert avec sa blanche danseuse an-glaise, le Port de Trieste, Edam, le Retour de la pêche, avec le bel ensemble de ses barques virant de bord pour s’engouffrer dans le chenal, quelques beaux nus souple-ment exécutés au pastel, des aqua-relles traitées hardiment par grands lavis de tons entiers, des dessins au bistre, d’une facture serrée, témoi-gnent de l’activité d’esprit, de l’ingé-niosité, du désir de perfectionnement de l’artiste bruxellois, maintenant fixé en une exquise maison où toutes choses disent son goût de la sobre et claire élégance londonienne, unie par certains détails à la netteté riante des intérieurs flamands. M. Théo Van Rysselberghe a contribué largement au récent mou-vement artistique de son pays. Avec Ensor, de Groux, Degouve de Nunc-ques, Laermans, Gilsoul, Verheyden, Mellery, Lemmen, Morren, Khnopff, Mn. Boch, Buysse, Verstraeten, Baert-son, Vytsman, il a été au premier rang du valeureux groupe qui a affir-mé le succès des salons de la Libre Esthétique, après ceux des XX, et qui s’est montré si brillamment soli-daire des écrivains et des musiciens auxquels la Wallonie et la Flandre ont dû une renaissance artistique inespérée. Mais en même temps qu’il marquait sa large place aux Salons bruxellois, M. Van Rysselberghe la marquait aux expositions des Indépendants, où il affrontait les jugements hâtifs et injustes en compagnie d’Anquetin, de Maurice Denis, de Charles Guérin, de Pierre Bonnard, de Signac, de Cross, de Luce et de tous ceux que les dates et la communauté de recherches faisaient ses camarades d’art libre. Il a, au milieu d’eux, nettement précisé sa personna-lité de dessinateur scrupuleux, de coloriste à la fois intense et affiné, de moderniste épris des aspects riants et heureux de la nature ou de l’expressivité de tels visages d’intellectuels. C’est bien vraiment un peintre, né pour s’exprimer en peinture, sans mélange d’éléments empruntés aux autres arts; il a la grande ligne du décorateur, l’abondance, l’aisance large dans l’exécution, la faculté de l’arrangement naturel, le sens des harmo-nies et la faculté de réaliser directement sa pensée dans des formes et des couleurs, sans aucun artifice d’esprit. Spécialement son oeuvre aura aux yeux du critique le grand mérite d’être allée à l’extrémité du développement d’une technique : quel que Portrait de M » M. soit le jugement qu’on porte sur le pointil-lisme, il le représente dans son entière et parfaite application et il lui a fait rendre la plus grande somme d’impressions possible, avec autant de science que d’originalité, sans s’hypnotiser sur une formule, sans rien lui sacrifier de ses goûts et de ses désirs dans le domaine du dessin et de la composi-tion. M. Théo Van Rysselberghe est conscien-cieusement préparé à de grandes œuvres, et je l’envisage comme une des personnalités que l’on pourra escompter le plus sûrement pour la constitution de l’art décoratif de l’avenir. CAMILLE M AUCLAIR. 89 ‘t