L’ART DÉCORATIF M. Vytsman, M. Verheyden, et enfin, sauf oubli, M. Théo Van Rysselberghe. M. Ca-mille Pissarro s’y rallia vers 1892. L’idée technique qui réunissait ce faisceau d’ar-tistes semble abandonnée par presque tous. Elle avait la séduisante rectitude d’une hy-pothèse scientifique, elle en avait aussi la sécheresse, et elle ne tenait pas assez compte de cet élément illogique qu’on appelle l’émo-Silhouette d Eugène Demolder lion en art, et qui fait sentir par suggestion ce que le raisonnement échoue à montrer. Je crois que M. Charles Henry, qui est un très haut esprit sans aucune des étroitesses trop souvent inhérentes à l’esprit scienti-fique, a lui-même non pas abandonné ses théories sur les évaluations esthétiques, mais simplement limité leur action au domaine de l’étude chromatique du spectre, où il a dit jusqu’ici les derniers mots; et chez tous ces peintres, un bienheureux sursaut de l’instinct a dérangé les partis pris devant l’incessante féerie de la lumière. Les idées et les goûts différaient trop aussi pour que le groupement persistât. M. Maurice Denis, qu’il peignît avec de petites touches en forme de disques ou qu’il peigne par tons entiers, fut toujours ce qu’il est, un mys-tique giottesque. Pierre Bonnard fut hanté des Japonais dans ses spirituelles fantaisies modernistes. Édouard Vuillard, de tout temps, fut un intimiste grave et pur. Les autres furent diversement réalistes, épris de lumière, en majorité paysa-gistes. Il était réservé à M. Théo Van Rysselberghe de devenir le plus consi-dérable d’entre eux, de conserver leur technique en l’élargissant, de briser, l’entrave pour la reforger en arme, et de parvenir à la maîtrise. Quelque étroite en effet que soit une obligation technique imposée à l’ins-tinct par le raisonnement, son étroitesse est inversement proportionnelle au tem-pérament qui l’accepte: elle le restreint dans la mesure où il n’eût jamais pu s’étendre. Ainsi en telle toile de M. Van Rysselberghe toute récente le procédé’ pointilliste est peut-étre appliqué avec plus de rigueur qu’en telle autre d’il y a quelques années, et cependant la facture est plus libre. Le procédé s’est plié à l’homme qui s’y contraignait. Un raisonnement se traduit, un jeu de mots ne saurait l’être, et c’est ce qui les fait distinguer: de même un procé-dé n’est valable que s’il devient un raisonnement, une matière vivante in-corporée à l’organisme; et pour l’homme qui s’en entrave et ne le plie point, le procédé n’était pas fait. M. Théo Van Rysselberghe a gardé celui-là, que pres-que tous les autres pointillistes ont abandonné, ou auquel’ ils ont dû, en s’abandonnant, de perdre toute originalité: il s’est trouvé ainsi soutenir admirablement une erreur esthétique et la ruiner du même coup en se faisant admirer malgré elle, en prou-vant par mainte oeuvre et par tous ses des-sins qu’il n’en dépendait pas et même la ivitiait au point qu’ayant failli n’exister que pour la démontrer vraie, il en faisait sa chose et en prorogeait la vérité. Peintre, aquafortiste, décorateur. M. Théo Van Rysselberghe maintient très nettes deux 82