L’ART DÉCORATIF la maison et, à ce propos, querelles ami-cales. Je prétendais qu’une oeuvre céramique devait être traitée en exagération de la forme et des accents Ma femme, au contraire, soutenait que, la forme devant être recou-verte de peinture, celle-ci devait assumer un rôle plus important que celui d’un simple badigeon ; et très obstinément elle exécutait ses céramiques dans un modelé si flou qu’il allait jusqu’à n’indiquer des traits que les saillies fort adoucies, et puis piquait ensuite les yeux, la bouche, les sourcils, les cils, enfin les cheveux, au pinceau. Ce procédé a donné de fort jolies choses qu’elle seule a tentées dans cette manière, et cependant je n’ai pas encore voulu avouer que j’avais tort. La céramique a vécu, 14«, Besnard n’en goûte plus le luisant. Elle s’adonne depuis l’année dernière à de petites statuettes en terre cuite, qu’elle reprend en-suite à l’aide d’une pâte dont elle engraisse les modelés de ses figurines, qu’elle peint en-suite à la cire et qu’elle dore quelquefois. J’aime infiniment ce procédé qui convient admirablement à la qualité de son exécution. Ces petites effigies vivent d’une vie étrange et très charmante. Mais je devance les événements, car j’en étais arrivé au moment douloureux de notre vie. La maladie d’un enfant nous contraignit à un séjour de trois années à Berck. Durant ces trois années, j’entrepris la décoration totale de la chapelle de l’hôpital Cazin-Perrochaud avec la collaboration de ma femme. Ce fut pour elle l’occasion d’un développement définitif. Dans le grand entrain d’un travail col-lectif elle entreprit enfin des œuvres consi-dérables et donna la mesure de son talent. Son Saint François d’Assise, qui a figuré à notre Salon et à l’Exposition Universelle, est une oeuvre de réelle beauté, de simplicité tou-chante et forte. Dans le même style et de qualité pareille sont là-bas un groupe de Vierge et d’enfant malade, une Sainte Élisabeth de Hongrie. A l’atelier, en préparation pour Berck toujours, une Madone, la figure même de la pitié, statue bas-relief que l’on pourra voir au Salon de l’an prochain, Et maintenant que nos enfantssont élevés, que notre vie est redevenue paisible, l’heure a sonné pour la femme de la possession de soi-même, et voici ce que me dit cette mo-deste artiste: «Je crois pouvoir enfin travailler. Fais-moi construire un atelier., Et près du mien s’élève l’atelier révé où vont se rassem-bler les oeuvres éparses, tandis que le mien abrite encore nombre de ses oeuvres. Il y en a partout un peu. Voilà donc ce qu’a fait cette femme pen-dant ces vingt-deux ans de travail et de ma-ternité: ceci est le produit des heures dérobées aux soins de la vie, au dévouement de la mère et de l’épouse, aux mille soucis que la femme sait détourner sur elle pour protéger notre travail. Oh ! il y a eu de tout cela pétri dans cette glaise, et je m’incline devant ce petit sanctuaire de l’art pour l’art et de l’amour. Là une femme a semé de la grâce sur les étapes du travail. ALBERT BESNARD.