JULES CHÉRET Peinture décorative (Salle à manger de M. Ferraille, à Neuilly) heur siégeant dans les profondeurs de l’éther, et c’est une rafale lyrique, une tourmente d’exaltation qui, pêle-mêle avec la cruelle Colombine, le fourbe Arlequin, le désolé Pierrot, le grognon Cassandre et le brutal Polichinelle, emporte les hommes que nous fûmes et les femmes que nous avons désirées dans le vertige cosmique, avec toutes les passions, toits les rêves, toutes les angoisses aussi, comme dans un nouveau sabbat, celui de la joie qui veut survivre à tout prix, échapper, planer, oublier ! Ce n’est pas là le bonheur, c’est l’effort paroxysme pour l’atteindre — ou pour n’y plus penser, pour couvrir de bruit son immense mutisme, pour peupler son infini par des chants, des danses, des baisers, des musiques et des tintements de cristaux, pour s’étourdir enfin, s’étourdir, cette der-nière suppléance que l’imagination puisse substituer au bonheur. C’est cet effort que trous a raconté Chéret, et c’est tracer qu’il nous l’a fait reconnaître en nous-mêmes qu’il nous a émus. Oui, il y a là Une. émotion. Il y a là la pensée secrète de tonte la vie de ce peintre des spontanéités brillantes, qui est parfois un triste, comme Watteau. Son dessin nerveux, son grand beau dessin en mou-vement, qui n’a rien de la fausse science et dont toute ligne, comme chez Degas, entraîne l’esprit et le regard dans une direction, ce dessin admirable de Chéret, qui suit l’évo. lotion de la forme sans la figer, est le signe même de sa pen-sée. Ces jambes tendues, ces tor-ses cam-brés, ces têtes ren-versées jetant des regards brûlants par-dessus l’épaule, ces bras élancés au-dessus des cheveux envolés ou abandonnant, dans un mou-vement ascensionnel, les gerbes de roses qui les surchargent, tous ces gestes obliques passant selon l’orientation des vols d’hiron-delles qui rasent la terre avant l’orage, ce sont des gestes d’effort, les gestes de la course au bonheur. Mais l’arrière-pensée d’inquiétude, le signe de l’amour de l’infini, sont constamment dérobés aux regards su-perficiels par l’apparente improvisation, la grâce négligente, la fougue de l’exécution, et toutes les subtiles précautions que, par une modestie mêlée de coquetterie et propre aux grands artistes, Chéret a prises pour dissimuler sa science et faire croire à la