L’ART DÉCORATIF Chéret est, de notre temps, le seul homme qui nous ait apporté l’exemple de la joie et qui se soit créé un monde tout de réves, nota point par un sursaut passager de son imagination, mais durant toute une vie. C’est dire quel étonnant effort d’élimi-nation il lui a fallu faire pour, voyant la vie qui lui fut plus dure qu’à bien d’autres, n’en exprimer que cela. Au reste, il ne l’eût point fait malgré la volonté la plus obstinée, s’il n’en avait eu la faculté native et l’incli-nation. Je ne parlerai méme point de ses affi-ches. Tout le monde sait comment il les créa, ce qu’elles sont, l’effet que produisit leur apparition : cela a été dit et redit, et la dette de joie dont nos yeux sont rede-vables à ce grand artiste est une dette pu-blique aujourd’hui. Mais les dessins de Chéret sont moins connus, ses grandes œu-vres décoratives ne datent que de quelques années, et n’ont paru au Salon, partielle-ment, qu’en too2. C’est là qu’il faut cher-cher le secret de sa pensée, là que s’ouvre à l’analyse une route nouvelle. L’étonnement général, ou du moins du plus grand nombre, car les artistes avaient su de suite à quoi s’en tenir, a été de voir l’affichiste prestigieux se révéler soudaine-ment un pastelliste de premier ordre; un second étonnement fut l’éclosi,nn d’un tem-pérament de grand décorateur en cet homme qui jusqu’alors se bornait au petit cadre ou à la feuille de papier ; un troisième degré a été prétexté par la communication au public d’une série de ces sanguines qui démon-traient si lumineusement la filiation de cet impressionniste à Watteau, à Boucher, à Fragonard. Et cependant tout cela était contenu logiquement dans la première af-fiche. L’unité du talent et de l’évolution de ce fantai-siste était ab-solue, introu-blée: c’était le résultat d’une étonnante con-tention inté-rieure, d’une colmaté qui avait su main-tenir son pa-4 rallélisme rigoureux à ses facultés d’ex-pression, qui avait sa tout ce qu’elle pouvait faire et l’avait fait pleinement sans s’égarer. Chéret fut tout lui-même, en puis-sance, dans ses plus anciens croquis. Et dès la première heure il posséda l’instinct de l’expression de la joie, de cette joie éper-due qui voleté au-dessus de la lutte vitale et qui s’élance avec les soubresauts de la flamme vers l’inaccessible région du bonheur. Cette joie nous élisent, elle nous donne