DECEMBRE 1902 LE CONCOURS D’ENSEIGNES itc ne croyais pas que le besoin d’un concours d’enseignes se fit sentir. J’aurais plutôt sup-posé que l’enseigne, nécessaire aux marchands clans le temps où peu de gens savaient lire et où l’on ne connaissait, en fait de glaces de Saint-Gobain, que le papier huilé ou de tout petits carreaux vert-bouteille derrière lesquels la marchandise se cachait, était un accessoire su-perflu pour le commerçant d’aujourd’hui, et qu’un bel étalage remplace avantageusement pour celui-ci les e Ciseaux d’or« et la « Croix de Margot s. L’abandon général de l’enseigne par le commerce rendait cette supposition vrai-semblable pour les esprits terre à terre, dont j’ai le malheur d’être. Il me semblait encore que nous avons bien d’autres sujets d’intérêt et d’autres moyens d’amu-sement que les braves gens du moyen àge. Je me disais que la rue moderne aux perspectives immenses, avec la foule qui se presse, les voi-tures qui s’entrecroisent, les tramways glissant silencieux entre deux rangs d’édifices gigan-tesques; la rue, cadre grandiose où l’industriosité du monde entier, tendue à nos regards sous les vastes baies des magasins, se dévoile, mer-veilleuse, à nos curiosités, est un spectacle dans lequel les pauvres petites machines qui suffi-saient à l’occupation de nos arrière-grands-pères ne comptent guère. Même le calembour « Au p’tit cien,, s’épanouissant au-dessus d’un maga-sin de jumelles Flammarion m’apparaissait, quoi-qu’exquis, d’une drôlerie relative à côté de beau-coup des plaisanteries de nos chansons de beu-glants, qui ne passent pourtant pas pour la quin-tessence de l’esprit d’aujourd’hui. Je me trompais. J’avais omis une remarque capitale. L’intérêt supérieur de l’art veut qu’on revienne à l’enseigne. Une nation dont les heures de flatterie ne sont pas consacrées à contempler amoureusement des, « Clés d’argent « artistiques doit perdre le sens du beau. Comprise comme sous Louis XI, l’enseigne élève le coeur des peuples et prépare l’avènement de l’universelle beauté. M. Detaille l’a proclamé. Nouveau Pierre l’Er-mite, il est allé prêchant la croisade de l’en-seigne aux fidèles de l’art. A sa voix, M. Géronte a surgi. M. Willette est accouru, à la tète des troupes ale Montmartre, tous armés de tableaux, de plaques de zinc, de potences en fer, de blocs de bois sculpté, marchant sur la salle Saint-Jean aux cris de « l’Art le veule!» L’ardeur de M. Wil-lette est extrême, au point d’être suspecte. Peut-être son enthousiasme n’est-il fait que des chers souvenirs du Chat-Noir. Mais qui sait s’il ne prépare pas en secret l’accomplissement, à la faveur de l’invasion d’enseignes, des grands desseins de feu Salis, la séparation de la Butte et de l’Étai et le triomphe de Montmartre sur la République ! Monsieur le ministre de l’Inté-rieur, veilles ! Toujours est-il que, gnice à ces messieurs, nous avons un concours d’enseignes. Deux cents peintres, sculpteurs, dessinateurs se sont ingé-niés à découvrir les équivalents modernes de l’Ange d’or, du Mouton noir et de la Bonne femme, celle qui montre sa langue coupée. Ils y ont mis tout leur talent ou tout leur métier — chacun suivant ses forces — dans l’espoir qu’un débou-ché nouveau est sur le point de s’ouvrir pour eux. Dieu me garde d’essayer d’abréger leurs illusions — les minutes n’en sont que trop comptées. Maintenant, une réflexion à propos ale ces pué-rilités ne sera-t-elle pas de trop? Voici. Il vous est arrivé, un soir de désœuvrement, d’aller passer une heure ou deux aux Folies-Bergère, à l’Olympia ou quelqu’autre music-hall. Après trois ou quatre numéros accompagnés d’une musique jouant sans interruption, le rideau s’est baissé, et vous vous êtes réjoui qu’un court entr’acte vint apporter un instant de repos à vos oreilles ; mais aussitôt, une autre musique, couverte jus-que-là par la première, s’est démasquée, lanci-nant à son tour de ses archets votre ouïe acca-blée par le grondement des cuivres. Il parait que le débit de la limonade veut cela; pas de demandes de bocks sans tziganes. Au premier entr’acte, vous vous êtes résigné. Au second, vous avez pris la fuite, exaspéré, affolé, maudissant le directeur qui fait du plaisir un supplice. Les amis trop zélés de l’art nous conduisent tout doucement à quelque chose qui ressemble beaucoup à ce supplice. Qu’ils prennent garde. Pour que des artistes assagis nous donnent un jour de bon art, et pour que la nation prenne goût au bon art, la première des règles à ob-server, c’est de ne pas faire de l’art une «scie«, G. M. JACQUES. PETITES NOUVELLES Ai: SUJET DU CONCOURS d’enseignes, ajoutons que l’Académie des Beaux-Arts a désigné MM. Bonnat, Vaudremer, Luc Olivier-Merson, Frémiet et Chaplain pour faire partie du jury chargé de décerner les récompenses. Les primes accordées consistent en : une prime de 2000 fr., deux primes de t000 fr., cinq primes de Soo fr. et six primes de 25o fr. Ce concours a été établi par les délibérations du Conseil mu-nicipal de Paris, en date des f juin et o juillet 1902., approuvées par arrêté préfectoral du 19 juillet 1902. 393 FIND ART DOC