11° 51 — DÉCEMBRE 1902 LUCIEN SIMON IE me rappelle qu’il y a deux ans, à l’autre bout de l’Europe, le hasard me fit pro-noncer le nom de Lucien Simon devant de tout jeunes peintres qui avaient organisé une exposition modeste à l’Académie impé-riale de Saint-Pétersbourg. Je vis leurs yeux s’illuminer à l’instant et je crois entendre encore l’accent avec lequel fut soupiré un : ê Ah Simon ! qui était la plus charmante expression de l’admiration et de l’envie mé-lancolique. Tous savaient ses travaux, les suivaient au moins par les reproductions des revues artistiques, et le tenaient déjà, lui, pour le plus sûr des maîtres de la jeune génération. J’eus le sentiment, ce jour-là, qu’une belle renommée d’art n’est pas une médiocre vanité et je fus assez fier d’étre tout simplement l’ami d’un homme qui avait le pouvoir, sans quitter son petit atelier du boulevard Montparnasse, de remuer les cer-veaux de vingt ans, à travers le monde. Cette anecdote me semble assez jus-tement fixer la situation morale que s’est faite à l’heure actuelle Simon, en même temps qu’elle permet de prévoir la belle carrière qui s’ouvre devant lui, puisqu’il a passé à peine le tournant de la quarantaine. Quant à la place que tiendra son œuvre dans l’histoire artistique qui évolue inces-samment, il n’appartiendra qu’aux hommes du siècle futur de l’apprécier et je n’essaierai point ici de la prédire; c’est un jeu dans lequel les plus sagaces critiques ont failli pour leu, contemporains. Diderot WU( le premier. C’est vers le passé qu’il faut regarder pour tirer peut-être quelque lueur de l’a-venir. Lorsqu’entre 1880 et 1885 Simon se décida à laisser les lettres, où il avait eu quelques succès assez brillants, pour se consa-crer entièrement à la peinture, bien des élèves d’ateliers commençaient déjà à se lasser de la réaction outrée qui avait été faite dès la chute de l’Empire à l’art si longtemps officiel de quelques virtuoses d’un 353 vulgaire idéalisme. Entre les t impression-nistes e, qui arrivaient déjà à faire des sin-gularités optiques, et Bastien Lepage, qui malgré lui, heureusement, pensait encore à Holbein dans ses tableaux rustiques, là foule