NOVEMBRE 1902 tête orgueilleuse et cruelle au-dessus des brasiers qu’elle allume dans Troie. Enfin, dans son triptyque Au Paradis, M. Lévy-Dhurmer a donné l’entière mesure de son talent largeur du dessin, richesse du coloris, habileté de composition. Une splen-deur à la fois humaine et sacrée baigne la nudité d’Eve, et nous assistons à l’aurore du monde. Il n’y a qu’une sym-phonie de Beethoven capable de rendre l’ivresse mortelle du Pa-radis. Les fleurs s’enlacent, les animaux s’étreignent, le soleil baise ardemment la terre et parmi cette folie, éperdue et ravie, Ève cède aux appels d’Adam. La fuite de l’épousée, toute sanglo-tante d’amour, dans la détresse du crépuscule est aussi d’une inexprimable douceur. Combien d’autres oeuvres seraient à citer, car la production du peintre est déjà considérable. Nous y re-marquerions qu’en chacune d’elles il a répandu sans compter les trésors d’une vive imagination et d’un métier sûr. En chacune aussi il s’est appuyé sur la réa-lité, la vision fidèle de la vie. D’abord voilée et subordonnée par endroits au rêve, celle-ci s’en dégage peu à peu et main-tenant nous allons la voir, dans une nouvelle moisson, passer au premier plan et s’épanouir comme une fleur glorieuse et riche de force sous le soleil. Il y a quelque quinze ans, au sortir d’un concours de dessin, organisé par la Ville de Paris, un vieux professeur interrogea son élève de prédilection. Es-tu content ? — Si l’on retient celui qui a le plus exactement copié le modèle, le prix ne me sera pas décerné, répondit le jeune homme ; mais si l’on récompense celui qui l’a inter-prété, qui en a exprimé le caractère, je suis certain de l’obtenir. Et il l’obtint en effet. M. Lévy-Dhurmer ne démentira pas sa réponse qui était alors la sûre connaissance de ses forces et comme la préface de toute son œuvre. Résumer le caractère d’un mo-dèle, le prendre non seulement dans le pré-sent, mais remonter avec lui dans le passé, dépasser son origine, fixer d’un trait ses attaches avec un pays et une race, telle fut la continuelle ambition de M. Lévy-Dhurmer. Les études qu’il a rapportées de Hollande, Hélène d’Espagne et du Maroc sont là pour attester cette unique et constante préoccupation. On dirait que pour nous surprendre et nous charmer plus profondément, il a choisi des contrées qui s’opposent non seulement dans leur structure, mais encore par leur génie particulier. Il semble que sa Femme à la Bible garde l’entrée du pays religieux qu’est la Hollande. Par la carrure du torse, la disposition de la coiffe, ornée de pendeloques, et le geste fermé des bras, le peintre a donné une sorte d’architecture lourde, rigide, au 333 99 FIND ART DOC