LÉVY—DHURMER Poco un critique attentif et capable d’en-thousiasme, analyser les premières créa-tions d’un peintre et rechercher les cir-constances qui favorisèrent ses débuts, sont deux plaisirs incomparables. Je n’en connais point, pour ma part, qui les puisse égaler. C’est que le jeune artiste, avec une sincérité qu’il ne retrouvera peut-être plus, dévoile naïvement au public les ressources variées de sa technique, sa vision du monde, ses pensers et ses songes, toute son ■■ arrière-boutique , selon la pittoresque expression de Montaigne. Dans la suite, l’on n’aura plus qu’il le suivre à tra-vers cc vaste champ du travail que nous parcourons tous et où il fait chaque jour sa moisson plus riche. Quant au public, ce-lui-ci se penche vers les œuvres nouvelles comme au-dessus d’au-tant de miroirs, y cherchant, non l’oubli, niais une réponse à ses préoccupations présentes, une confidence sur ses personnelles angoisses, souriant, sans le savoir, à sa propre image. Cric psychologie particulière explique, nous semble-t-il, l’ordi-naire incompréhension qui ac-cueille les belles oeuvres. M. Lévy-Dhurmer n’échappa pas à ses atteintes. En 1896 eut lieu l’ex-position de ses œuvres à la Galerie Petit et nous devons nous reporter vers cette époque pour discerner les éléments qui entourèrent sa “révélation». Le symbolisme litté-raire livrait ses suprêmes combats. La fureur néo-prirnitive était passée mais les longues robes des muses, glissant des hautes tours, dissimulaient sous leurs plis le tissu solide des prisses et la frêle guipure des vers. Il fallait que toute beauté fût entourée de mystère et d’un accès difficile. Ceux qui s’arrêtaient à mi-chemin, sans la découvrir, s’estimaient pour le louable effort qu’ils venaient de tenter. Des écrivains comme Georges Rodenbach et Maurice Maeterlinck, dont on ne connaissait alors que les petits drames, conviaient les hommes à s’abstraire de l’action. M. Lévy-Dhurmer, qui répondait par les qualités extérieures de Jeune Américaine son talent aux aspirations des cénacles, fut acclamé par eux. L’on admira d’emblée sa délicatesse, sa virtuosité, l’élégance des sujets choisis. Le peintre jeta autour de lui tette espèce d’ensorcellement. Il rapportait d’Italie et d’autres pays que nul n’avait jamais visités dcs figures énigmatiques aux lèvres scellées 327