L’ART DÉCORATIF exclusivement à enchâsser dans un cadre doré un morceau de toile peinte. Aussi la décoration est-elle considérée comme un métier abandonné à une tourbe d’ouvriers barbouilleurs qui copient servilement des fleurs ou des bêtes et prodiguent leur habilité d’exécution pour arriver à donner l’illusion du relief. Voilà pourquoi, encore de nos jours, il n’est pas rare que l’on voie s’épanouir dans une salle à manger, par exemple, des multi-tudes de chardons à ce point ‘,bien faits« qu’on en voudrait manger, ou que l’on voie se promener paisiblement des lions et des tigres dans une chambre à coucher. Ils ne comprennent pas, ces insanes, que la peinture décorative doit s’harmoniser non-seule-ment avec les lieux qu’elle a pour mission de «décorer», mais encore avec l’état d’esprit des gens qui sont appelés à les fréquenter. Une salle de billard, une salle à manger, un fumoir, un café, une brasserie sont des endroits joyeux: ne mettez pas de la mythologie sur leurs murs. C’est de ce principe d’une harmonie nécessaire que je me réclame pour instaurer la décoration caricaturale, parce que la caricature se plie à tous les sentiments, à tous les »états d’âme«, à toutes les dispositions permanentes ou passa-gères, avec une souplesse merveilleuse. Elle traduit jusqu’à l’outrance l’enjouement aussi bien que l’amertume, la noblesse d’une pensée haute ou la trivialité d’un penchant terre-à-terre. Nulle forme de l’art ne possède une gamme aussi riche de nuances morales, qui lui permette, tout en restant elle-même, de passer en un instant aux extrémités les plus contraires ou de juxtaposer, sans blesser le regard, les anti-thèses les plus inattendues. Avant toutes choses, que la décoration soit linéaire, parce que l’abus des reliefs et des pro-fondeurs dénature les proportions d’une muraille. Un mur, une cloison, sont, par définition, des surfaces planes qui doivent rester planes. Or, si chacune de ces surfaces reçoit une décoration de nature à en altérer la perspective, la salle elle-même, qui n’est, en somme, que leur assem-blage, en sera fâcheusement déformée. L’ceil sera doulouieuseinent impressionné par des loin-tains ou des trompe-rceil qui semblent tantôt porter au loin le mur que l’on sait proche, tantôt rétrécir une étendue qui perd ainsi le bénéfice de ses dimensions véritables. Qu’après cela, la décoration puise, si bon lui semble, ses éléments dans la nature, je n’y vois nul incon-vénient, mais qu’elle s’en écarte le plus possible. Plus le peintre s’efforcera de copier la nature, plus il fera de la peinture «attrape-nigauds» qui est l’antipode de la peinture décorative. Un artiste belge, M. Van de Velde, l’a bien compris, lui qui, non-seulement ne copie pas la nature, mais la répudie complètement en un art fait exclusivement de lignes. Un point d’interro-gation, une clef de sol, ne sont-ce pas là des motifs très-décoratifs, malgré qu’ils ne dérivent de rien? Pourtant n’employer que des lignes, c’est rejeter, de gaîté de coeur, l’expression et le mouvement. J’utilise donc la flore, la faune et même l’homme. Contrairement aux prétendus peintres-décora. teurs, je ne me contente pas de copier servile-ment la figure humaine et de l’encadrer dans des fioritures: je puise en elle mes éléments décoratifs. Convaincu que la caricature peut et doit prétendre à un rôle plus large que celui qu’elle a tenu jusqu’a ce jour, je l’étends à la décoration en alliant le grotesque à l’arabesque. Les sentiments tels que la douleur, le rire, la surprise, la colère, la frayeur etc. provoquent des torsions, des convulsions, des déformations qui me fournissent une infinie diversité de lignes. Je veux styliser les figures humaines ou ani-males en un grotesque monstrueux. Si l’on m’objecte que l’oeil peut se fatiguer de ces mon-struosités, je réponds que je ne traite pas de la même façon l’ornementation d’un fumoir où l’on se repose et celle d’une salle de danse où l’on s’agite; la premier endroit est intime, le second est envahi par la cohue ; l’un sera décoré familièrement mais avec sobriété, tandis que la gaîté de l’autre ira jusqu’à la folie. J’espère appuyer d’ici peu, par des œuvres, la conception que ces notes brèves prétendent à peine indiquer. Les dessins inédits intercalés dans k kale sape de M. MAURICE DENIS. 208 JOSSOT