L’ART DÉCORATIF Ainsi, ce sont les artistes du meuble qui se sont désintéressé les premiers de la moulure. Ils l’ont fait jusqu’ici en évitant de parti-pris les profils conventionnels. C’est déjà beaucoup, si l’on pense quel rôle immense la moulure jouait dans le meuble et quelle tenacité l’ébéniste mettait à prendre les formes architecturales pour modèle. Mais ces artistes n’en sont encore qu’à la négation; d’inventions affirmant un mode de remplacement des formes auxquelles on re-nonce, il n’existe pas encore. On se contente de se rendre compte qu’il sied au meuble d’être débarrassé des membres éveillant l’idée de rés-istance à de lourdes charges; de faire ressortir le mode de sa construction, constituée de pièces non superposées, mais jointes par assemblages. Les moulures fournies par l’industrie en bandes sans fin, recoupées à longueur et clouées par dessus la construction, n’ont plus rien à faire dans cet ordre d’idées. Les Anglais ne sont pas allés plus loin que la négation du profil mouluré. Ils ont abandonné la tradition, mais n’ont pu s’élever jusqu’à l’idée d’une plastique nouvelle du bois travaillé. Or, il ne suffit pas qu’une armoire soit d’aplomb sur ses pieds, et, pour le reste, une simple caisse; il faudrait rendre tangible par les formes l’esprit et la logique de la construction en bois. En France et en Allemagne, plusieurs artistes du meuble y ont jusqu’à mi certain point réussi. Les Français, non sans sagacité, partent des formes Louis XV, lesquelles sont bien moins — contrairement à ce qu’on pense — la fin d’une style que l’aurore d’un style nouveau. Dans les bons meubles du genre rococo, les saillies vont se perdant dans le bois; les élé-ments constitutifs de la moulure classique se fondent en une seule courbe, et la plastique des saillies est faite uniquement de nervures arrondies et de contre-nervures formant rigoles, qui suivent les formes infléchies du meuble et finissent par mourir insensiblement sa surface. A cette plastique se rattachent celles de Plumet, de Majorelle, de Sauvage; mais ou ne peut dire que le profil mouluré soit dis-paru chez ces artistes; il n’est que transformé. Le seul artiste dont les oeuvres n’on montrent plus trace est Van de Velde. La plastique de ce dernier dans le travail du bois lui est toute personnelle; son rapport avec les traditions est si lointain que c’est tout une étude de le découvrir. Les architectes modernes, ceux du moins qui savent s’élever au-dessus de ce qui n’est que convention, renoncent autant qu’ils peuvent aux profils moulurés. Celà leur est possible dans la maison d’habitation, où la mise en évidence des différences de matériaux et de quelques éléments de la construction suffit à satisfaire l’oeil et l’esprit; c’est plus difficile dans la con-struction monumentale. On est allé plus loin: en place du traditionnel bandeau mouluré de pierre de taille qui marque la séparation des étages, Van de Velde a mis à découvert les poutres en fer elle-mêmes (v. No t, p. 14), remplacant le symbole par la réalité. Rien de plus sain que ce retour au primitif jusqu’à ce que des formules en rapport avec la vérité soient découvertes; mais ce ne peut être le dernier mot de l’art. Sans la moulure, jusqu’à ce qu’on en aie trouvé l’équivalent, impossible de donner à la construction toute la vigueur d’accent qu’elle doit avoir. Van de Velde lui-même le reconnait implicitement dans la même maison, quand il cherche à donner au problême de la corniche une solution nouvelle, procédant d’ailleurs de l’esprit gothique. Le même artiste nous montre dans ses intérieurs des solutions admirables pour les corniches de plafonds; mais elles sont trop personnelles et pas assez simples pour fournir un point de départ général. Il est du reste à remarquer que la tradition de la corniche, dont l’architecte moderne a tant de mal à s’affranchir en reliant le toit au mur, le gêne beaucoup moins dans les dessins d’in-térieurs. Ici, la liaison du mur au plafond commence à s’effectuer librement. La gorge de l’ancienne corniche va toujours s’étendant, et l’organe de liaison devient une courbe con-cave très-allongée, oit la moulure qui marque le point de pépart dans le mur et le point d’arrivée dans le plafond n’est plus que l’accessoire. L’addition fréquente de consoles portantes achève de changer non-seulement la forme, mais l’ex-pression de la fonction remplie. Il faut attendre. De même qu’une transfor-mation de la colonne est commencée depuis longtemps déjà, celle de la moulure viendra à son heure. Ces choses d’élaborent lentement, sans qu’on puisse prévoir ce qui sortira du travail d’enfantement. Pour le moment, nous en sommes à répudier le cordon mouluré partout où c’est possible, à mieux aimer encore la surface nue que les vieilles divisions conven-tionnelles, Il manque encore le talent hors de pair, le grand architecte dont l’oeuvre fournira la formiTle propre à remplacer celle que les siècles avaient mûrie. c. SCHEFFLER LA DÉCORATION CARICATURALE Ce titre déconcertera les artistes officiels pour qui la décoration est un art inférieur et la caricature un amusement de rapin. D’après eux, cultiver l’art, te grand, c’est se borner 207