L’ART DÉCORATIF cas arrivée avec lui au point d’où doit surgir la direction que cet art prendra désormais. Rodin n’a pas eu de précurseur dans notre siècle; c’est de Michel-Ange qu’il procède. Comme lui, du marbre d’où tant d’autres ne savent faire sortir que la pose, il fait jaillir la vie. Son ciseau plie la matière rebelle à set volontés, et lui fait rendre les moindres nuances voulues par sa conception, affinée à l’extrême. Son imagination prodigieuse et ne reculant devant aucune hardiesse lui serait devenue fatale, n’était son instinct sûr des bornes du pouvoir du ciseau, étoile directrice qui le guide. Ces dons, éclatants jusque dans le moindre fragment de ses groupes même encore à l’état d’ébauche, et joints chez Rodin, comme chez Michel-Ange, à la plus indomptable énergie, devaient infuser une vie nouvelle à la sculpture monumentale, tombée si bas dans notre siècle. Sans rien sacrifier, ne fût ce qu’un cheveu, de sa conception de l’art, sans faire la moindre concession à personne, il a fait parler au monument la langue de ses admirables groupes, insoucieux de plaire ou de déplaire, dédaigneux de la crainte de n’être pas compris. Aussi, ce fut autour de son oeuvre un combat comme autrefois autour de celles de Delacroix et, plus tard, de Manet. Même aujourd’hui que le génie de Rodin n’est plus en question, le combat dure encore; ce que les discussions politiques qu’on sait avaient laissé de violences disponibles au journalisme français a trouvé son emploi à propos de son sBalzac». Entre les partisans et les détracteurs, il n’est pas facile de porter un jugement sur cette œuvre. D’une part, on diminuerait l’immense portée de l’hoinme de génie par des restrictions; de l’autre, il n’est pas possible de se refuser à voir les défauts qui, ici comme dans toutes les oeuvres géniales, sautent aux yeux autant que les splendeurs. Ce qui manque à Rodin est en même temps ce qui fait sa force: l’absence absolue de traditions. Il est fils de notre siècle révolutionnaire dans toute la force du mot. Mais savons-nous ce que nous donnera cet art nouveau, qui ne fait que bégayer ses premiers mots aujourd’hui ? Tout jugement sans appel serait prématuré; on ne peut dire qu’une chose, c’est que la grandeur, le génie, l’avenir sont dans ces oeuvres. Qui sait si d’autres ne viendront pas après Rodin, dans les mains de qui l’art immortel créé par lui trouvera sa formule classique? Un artiste de la taille de Rodin inspire toujours !ei…-tit iie «t’e n eh.Léi )111A. à quelque écrivain le désir de réunir en un livre ses oeuvres, leur description et leur histoire. C’est cette tâche que vient de remplir M. L. Maillard dans son ouvrage «Auguste Rodin, statuaire» (édité chez Floury à Paris). Les repro-ductions de monuments de Rodin que nous donnons plus loin, gravées sur bois par Leveillé, sont tirées de cet ouvrage. sr. G. LA MOULURE DANS L’ART MODERNE Il y a dans la construc-tion des formes si parfaite-ment adaptées à leur fonction et &int la raison d’être est si puissante, qu’ elles ont résisté à tous les changements des styles. Telle la moulure. Que fait d’elle l’art Moderne? Le code de règles établi par les Grecs pour son emploi, avec leur génie créateur et leur suprême finesse du sens mathématique, est une formule de beauté pure, l’expression idéale de la logique et des convenances. Leur solution du prOblème d’établir et de montrer la liaison de la charge et l’appui, du membre debout et du membre couché, du cadre et de l’encadré est restée si commode pour ceux qui sont venus aprèS eux, qu’on accepte depuis deux mille ans ces formes sans que les variantes qu’on tâche d’y introduire puissent les perfectionner. De l’architecture, ces profils ont passé dans tous les arts, couvert tous les matériaux. Hier encore on n’eût pu concevoir une porte, un plafond, une armoire sans cordons moulurés. Ils étaient et sont encore dans cent métiers le premier et le dernier moyen de décOration: En les pondant au kilomètre, l’industrie livre aux professions une recette décorative commode, dont toutes font le plus inconsidéré des em-plois. Il est à peu près impossible de ren-contrer un produit industriel d’ordre plaStique sur lequel ne s’aperçoive pas quelque réminis cence de ces formes propres à l’art de bâtir. N’est-il pas intéressant de contempler l’assaut que le moderne s’apprête à livrer à l’antique dans cette forteresse inexpugnable? Dans toutes les révolutions de l’art dans le passé, c’est toujours de l’architecture que sont issues les formules qui succédaient aux précé-dentes. Dans celle d’aujourd’hui, c’est le con-traire. C’est l’art ornemental qui se transforme d’abord, et la transformation n’atteint l’archi-tecture que par ricochet, après avoir changé la face d’autres branches du travail artistique. 206