OCTOBRE 1902 monie et d’enveloppe dont on ne parle pas à l’École, apercevait aussi, pour ne plus le perdre de vue, ce lien qui unit les créatures d’un même sang et ce sentiment de la conti-nuité de la vie, exprimé avec tant de pa-thétisme dans les tableaux d’Eugène Carrière. Eugène Carrière ! en étudiant l’oeuvre de Canaille Lefèvre, je devais nécessairement rencontrer ce nom sorts ma plume. Il y a entre le sculpteur et le peintre de mysté-rieuses, mais sûres affinités. Leur art à tous deux est noblement moderne et social. «La Visionnaire » fait le geste de la femme litho-graphiée pour l’affiche de 1′ Aurore ». Cet essai déjà émouvant : « Dans la rue », et l’ceuvre parfaite , saine, sensible , ca-dencée, parue au Salon de 1896: « Le Bon-heur » s’apparentent aux ■/ Maternités » du Luxembourg. Le « Buste de jeune fille », au masque de méditation et de charme — repré-sentant précisément une des enfants de Car-rière —la «Tristesse», regard fixe, face amincie et crispée par la peine, nuque douloureu-sement tendue, ont l’intensité psychologique de tels portraits. Canaille Lefèvre est lié d’a-mitié avec Eugène Carrière qu’il tient jus-tement pour un grand maitre. Il devait comprendre sa peinture, car cette peinture a juste le genre de e couleur » qu’on accorde à la sculpture, le contraste du clair et du sombre et leurs dégradations infinies. Idieuvre d’Eugène Carrière, ce me parait etre, vers le soir, dans l’atelier d’un sculpteur sublime, un peuple de marbres angoissés ou pensifs. L’ombre afflue, tiède, sentant le cyprès et les roses, à travers les baies largement ouvertes, emplit les angles où des bustes se révèlent encore par la saillie blafarde d’une pommette, par la moue d’une bouche attristée, gagne les grandes figures dont la forme se synthétise et dont l’expression s’exalte dans l’enveloppement crépusculaire. On assiste muet, le cœur battant, à cette invasion des ténèbres, à cette dramatique transfiguration des statues ; on tremble seulement de voir les surnaturelles images s’effacer, se fondre complètement, se réintégrer au mystère et à la nuit. Car on sait bien, malgré tout, qu’il n’y a point là des marbres, mais l’effet de quelques taches fluides de gris et de noir sur une toile, à la merci d’un assombris-sement excessif de la pâte, d’un pas de plus de l’artiste vers l’abstraction. Les images de Camille Lefèvre ne donnent pas semblable inquiétude, elles existent réellement, en pierre ou en bronze, avec épaisseur et densité. Mais je ne saurais prolonger la comparaison. Les œuvres d’Eugène Carrière et de Canaille Lefèvre se correspondent dans des genres différents, l’une plus cc no-ète , dans la Le ‘ – sculpture, Vautre plus générale et psychique, dans un art complexe, peinture qui tient de la poésie, de la musique et aussi, étrangement, de la statuaire. Elles témoignent du même sérieux, de la même curiosité profonde et bonne devant la vie. Avec ce sens ému de la modernité, 283 FIND ART DOC