CAMILLE LEFEVRE IF .me plains bien souvent ici de la médio-crité de notre grande sculpture. Mais, vraiment, la chose est offensante. Par leurs poses déclamatoires, leurs gestes figés, leur symbolisme vieillot et inexpressif, la puéri-lité de leurs emblèmes, ces statues qui s’a-lignent sur les façades de nos théâtres, de nos tribunaux, de nos mairies, ces Mars, ces Castor et ces Pollux qui se morfondent dans leurs niches, casque en tete, comme de ridicules factionnaires, toute cette figu-ration gréco-romaine soulève à juste titre le dégoût des connaisseurs. La curiosité de nos artistes s’est réfugiée datas rars minor, dans le bibelot d’appartement, et voilà un signe certain de décadence. Car, selon le mot de Baudelaire, « à toutes les grandes époques la sculpture est un complément, au commen-cement et à la fin c’est un art isolé. t, Nous sommes loin des vastes architectures que la statuaire venait magnifiquement parfaire et illustrer, loin d’un Panthéon ennobli des frises d’un Phidias, loin des cathédrales enfantant, sous le ciseau des imagiers go-thiques, un peuple de figures charmantes, grotesques ou farouches, toutes les terreurs d’un siècle, tous ses sarcasmes et tous ses reves. Nous admirons ces ensembles ryth-miques et vivants, nous entendons ces édi-fices taons clamer, par la bouche de pierre de leurs statues, la grande pensée qui les a fait surgir. Mais nous ne savons pas en dresser de semblables, les animer de pareilles voix. Il nous manque la conspiration d’une foi Bas-relief d’autel religieuse ou sociale. Il nous manque, en un mot, ce par quoi les peuples vivent dans une action commune et se réalisent harmo-nieusement, il nous manque un Idéal. Nous n’avons meme plus cet enthousiasme collectif de la Beauté d’oit sortit la Renaissance. Nous sommes des individualistes absolus, occupés de nos seuls intérêts, de nos seules aspi-rations, de taos seuls désirs. Nous restons pour la plupart en dehors de l’atmosphère du siècle et nos sculpteurs ne se soucient pas d’exprimer la mentalité de leur époque. Sans doute, il ne peut plus être aujourd’hui question d’une croyance théologique, mais il nous reste le sentiment, la religion de l’humanité. Quelles commandes officielles pourtant nous ont donné une traduction con-venable des mots : Justice, Liberté, Frater-nité, Travail, mots représentatifs de ces forces morales qui, bien au-dessus de la politique, font signe aux nations et les guident vers l’Étoile? Des penseurs en saisissent le sens, pour s’être mêlés à l’action, pour cure descendus de leur cabinet dans la foule. Les artistes ne les comprennent guère, enfermés qu’ils sont en leur atelier. Quelques-uns néanmoins. intelligences attentives et cœurs bons, épris Taltruismu, ont pu concevoir et parfois fixer le 1101.1,1 idéal, le respect de l’effort, de la souf rance. la grande fraternité des hommes. Camille Lefèvre est de ceux-là. Il naquit en pleine banlieue ouvrière, à Issv. Son père exerçait dans cette ville la profession Lie marchand de vin en gros. Il 281 33