SEPTEMBRE 1902 de faire faire fausse route pour une de tomber juste. S’il arrive que le professionnel soit un esprit d’élite, qu’il ait le sens inné des bienséances esthétiques — autrement dit le goût qu’il possède cette force secrète par laquelle on dirige les instincts du public au lieu de le suivre dans ses erreurs, il battra fatalement le producteur d’occasion sur un terrain dont il connaît chaque pli, et son adversaire rien. Ici l’on m’interrompt, pour dire que le professionnel est le plus souvent un industriel ; qu’il ne crée pas l’objet, qu’il n’en est que l’exécutant; que ce n’est donc pas de lui que le produit tient ses qualités. Il existe même entre artistes et industriels une que-relle déjà vieille, récemment passée à l’état aigu, les premiers reprochant aux seconds de ne pas faire connait, leurs collaborateurs, véri-tables auteurs des modèles, et même de s’attribuer l’honneur de modèles qu’ils ont tout bonnement achetés à l’artiste. Cette revue doit rester en dehors des débats d’in-térêts de classes, et n’a pas à prendre parti dans celui-ci. Mais sa neutralité n’in-terdit pas à l’écrivain d’ex-poser les faits qu’il a cru remarquer, ni d’en tirer la philosophie. Me renfermant dans ces limites, je crois qu’on s’exa-gère le dommage dont on sr plaint. L’usurpation pure et simple du titre d’auteur de modèles achetés est l’excep-tion dès qu’on quitte le ter-rain des modèles d’ordre in-térieur, dont l’auteur, c’est tout le Inonde. Dans les expositions et aux Salons, M. Vever attribue à M. Gras- set, M. Henri Beau à M. Dampt, à M. Charpentier ou à M. Sauvage, M. Bous-sielguc-Rusand à MM. Gé-nuys et Canaille Lefèvre ou à M. Lelièvre, etc., les ob-jets conçus et développés par ces artistes. C’est d’ail-leurs l’évidence que l’industriel ne peut que gagner à mettre en vedette sur sa montre le nom d’un artiste aimé. Ce cas mis à part, il reste le plus fré-quent, dans lequel les éléments manquent pour apprécier quelle part revient au des-sinateur, quelle part à l’industriel dans la conception et le développement de l’idée. Sur quoi se base-t-on pour affirmer que X…, fabricant-joaillier, n’est pour rien dans la création artistique des bijoux qu’il expose ou met en vente? Est-ce sur le fait — dont personne n’est certain, mais admettons-le —que M. X… n’a pas tenu de ses mains le crayon, ou n’a pas modelé la cire de ses doigts ? Mais que prouverait ce fait ? L’archi-tecte et l’ingénieur arrivés ne tracent pas leurs plans eux-mêmes ; ils ne sont pas 25 3