LA VILLA MAJORELLE A NANCY siècle réservera quelques surprises aux observateurs qui chercheront à tirer des déductions logiques de l’étude de nos productions artistiques. Les principes qui restaient sûrs, mathématiquement sûrs, pa-raissent actuellement douteux, indécis et presque mensongers. Les premiers symptômes de ces troubles esthétiques parurent à la fin de l’Empire, à l’époque de décadence et de veulerie qu’inaugura le règne de Louis XVIII. Insignifiant d’abord, le mal s’accentua vite et finit, sous Napoléon III, par dénaturer el fausser la portée des plus importantes mani-festations intellectuelles. L’unité qui, éter-nellement, avait soudé les arts les uns aux autres, l’unité rationnelle qui imposait des tendances semblables à l’architecture et à la statuaire des Cathédrales de Reims et d’A-miens, l’unité admirable qui groupait dans un même élan un Racine, un Coysevox, un Lebrun et un Mansard, l’unité qui régna en Égypte comme en Italie, en Grèce comme en France, dans Pinde comme en Chine, l’unité sur laquelle s’appuie l’immuable et rigoureuse loi de l’évolution des styles, s’est tellement aveulée et relâchée qu’il devient prudent de ne plus l’invoquer quand ontient à porter un jugement exact sur notre tempé-rament, nos usages, nos besoins, nos moeurs, notre vision de la vie. La monomanie d’imitation, la soif d’im-poser, à rebours du plus vulgaire bon sens, des formules décrépites à des êtres modernes, a été la cause d’un grave bouleversement dans nos idées générales. Bâtir une maison à l’envers ne semble guère plus absurde,au rond, que d’élever, de nos jours, un hôtel uloyen-arc ou un palais régence. Pareille e‘travagance ne germa ja-mais dans la cervelle de ces aïeux que nous admirons jusqu’au fciic h isme, car, depuis que le Inonde est Inonde, on n’a pas trouvé la trace d’une reconstitution quelconque d’un style disparu. Aucune chaise curule ne figura dans le mobilier d’une salle gothique et au-cun bahut sculpté ne servit à un des sujets de Louis XVI pour ranger ses vêtements. Ces transpositions anormales, qui rappellent les déguisements d’un bal masqué, entraînent les plus fâcheux malentendus : par exemple, je mets au défi l’étranger le plus perspicace de deviner, s’il n’a été préalablement prévenu, une église catholique dans la Madeleine, construite sur un boulevard parisien, par un architecte français, dans un temps oh les pas-sants ne portaient ni toge, ni tunique de laine. Pareil rébus archéologique déroutera éternellement les esprits les plus subtils. L’État qui aurait pu, qui attrait dû en-rayer une aussi lamentable maladie, lui qui prétend diriger les Beaux-Arts, l’État s’ingé-nia, au contraire, à propager le virus et apporta ses soins à développer l’épidémie. Tout artiste servile et dénué de personnalité mérita sa protection et sa tendresse ; tout génie indépendant et novateur se transforma à ses yeux en ennemi redoutable. De sorte qu’on assista, sous Napoléon III, au speeracle peu banal de voir des Cabanel, des I less, des Hébert, des Picot et des Robert-Fleury représenter officiellement la peinture natio-nale, tandis que des Millet, des Corot, des Courbet et des Manet supportaient les mépris et les dénis de justice du gouvernement. Sous cc rapport, la situation, du reste, ne s’est guère modifiée sous la troisième Répu-blique, ou, nous le constatons avec stupeur, M. Géromé est grand-croix de la Légion d’honneur quand les boutonnières de Claude Monet et de Degas demeurent vierges du plus mince ruban rouge. Les errements suivis par l’État dans la peinture, la sculpture et la gravure sont d’ail-leurs respectés en architecture, où l’on ré-serve les éloges, les encouragements, les commandes, les récompenses, les faveurs de toutes sortes à ceux qui restent rivés aux théories classiques et opposés aux h ,’ulules nouvelles. Rien n’a pu ébranler l’aveugle opi- • niatreiC des pouvoirs publics qui ferment les y ells, avec un parti pris puéril, afin de ne pas comprendre, afin de ne pas cor la co-lossale et féconde évolution qui, depuis quel-ques années, s’opère partout, aussi bien en musique. qu’en peinture, aussi bien en litté-rature que dans les arts du décor. Pour suivre le mouvement architectural actuel et no-ter consciencieusement les phases si inté-ressantes de cette poussée vers un autre idéal, il est indispensable d’étudier non pas les édifices officiels, amas rie pierres ti la fois 1,011CICS ci incohérents qui ne 1,L0’011I rien, 110 disent rien et ne signifient rien, mais certaines constructions particulières qui résument lo-yalement les goûts, les besoins, les moeurs, la psychologie de la société contemporaine. 202