L’EXPOSITION DE TURIN — LES ÉDIFICES Uà de nos maîtres sculpteurs — et non des moins respectueux des oeuvres qui demeurent — me disait l’autre jour qu’après un récent voyage en Italie, où il avait revu toutes les villes d’art, le labeur du passé, malgré sa gloire, lui apparaissait comme un grand cimetière, gardant le souvenir de choses mortes , où nous ne nous re-trouvions plus guère nous – mêmes; et en arrivant à l’Exposition de Turin, il avait été heureux de trouver là de la vie. Par quoi la vie se manifeste-t-elle en effet ? Par un caractère de perpétuelle transformation ; à tout moment, elle ne saurait rien nous donner de définitif, d’arrêté. Elle n’est que dans le mouvement perpétuel , la marche vers autre chose, qui révèle en tout cas une incessante activité, un désir toujours renouvelé. Il y a dans ces réflexions une grande part de vérité ; et l’on peut voir par là que demander à notre art de l’heure présente d’affirmer des principes trop fixes, des formes trop accomplies, pour ainsi dire, c’est lui demander de n’être déjà plus qu’un aspect fini de la continuelle évolution, et de laisser la place à des aspirations nouvelles. Tout caractère d’art ne se précise et ne se définit que lorsqu’il n’est plus sujet aux modifica-tions de tout instant, c’est-à-dire lorsqu’il appartient déjà au passé. Il ne faudrait jamais juger un art émi-nemment contemporain pour ce qu’il nous dorme, mais pour ce qu’il nous annonce; il ne faudrait pas le considérer Comme un phé-nomène durable, mais comme un stade per-mettant d’atteindre uà autre point ; ce sont ses tendances qu’il nous faut envisager et apprécier. C’est pourquoi l’erreur même n’est pas toujours absolument condamnable ; il y a souvent plus à redresser qu’à détruire, et certains défauts donnent plus matière à leçon et à profit que bien des qualités. J’ai dit, dans les notes inéliminaires à ces articles sur l’Exposition de Turin, que l’architecte, M. d’Aronco, avait adopté les formules de la ltouvelle école autrichienne. Je vouds’ais examiner d’un peu plus près 186 aujourd’hui les caractéristiques de crise archi-tecture et son origine, et voir les excès qu’il convient surtout de lui reprocher. Bien qu’Italien, M. Raimond° d’Aronco résidait depuis plusieurs années à Constan-tinople, où il avait perdu, peut-on dire, le contact avec sa patrie ; mais ce n’est pour-tant pas une influence orientale qui s’est exercée sur lui très désireux de prendre part au mouvement de l’architecture moderne, il se tenait au courant des productions nou-velles et avait été séduit par un des centres les plus actifs, celui où le professeur Otto Wagner a déjà créé de nombreux disciples. Sans doute des bâtiments d’exposition peuvent constituer une classe d’architecture un peu spéciale. Il ne s’agit pas d’édifices destinés à durer ; c’est une architecture de fête que l’on demande, comportant plus de légèreté et de fantaisie, plus de couleur que n’en admettrait une construction sérieuse. Mais pour la fantaisie et la couleur, les traditions des anciennes villas italiennes étaient dignes de fournir à M. d’Aron-co un intéressant point de départ, et ses pavillons auraient été plus naturellement en harmonie avec cet élégant paysage des bords du Pb, se seraient plus intimement accordés avec cette stature. Si ces bâtisses, par leur destinée éphé-mère, ont droit à certaines licences, nous devons bien déclarer pourtant que l’archi-tecture viennoise nous apparaît absolument pareille lorsque l’architecte veut construire des maisons d’habitation ou des palais publics; on y retrouve exactement les mêmes partis généraux de construction et les mêmes élé-ments de décor. Ce style architectural sur une terre italienne est doublement factice , car il est déjà artificiel en Autriche même: on ne saurait trouver de fOrmes plus scolaires, plus imposées par le goût personnel d’un chef d’école. Si nous considérons les as-pects d’ensembles et les détails d’orne-mentation de cette architecture, nous vo-yons qu’ils ne tendent à rien moins qu’à une restauration du style Empire, qui fut au premier chef un style volontaire, un style