L’ART DÉCORATIF donc peut-être, si l’on dépasse le vulgaire point de vue de la reproduction linéaire de ce que chacun voit d’abord, la science ex-pressive des rapports de ces formes inter-changeables. Récemment, Carrière, s’impro-visant conférencier, conduisait au Nluséum, dans les salles d’ostéologie préhistorique, ses auditeurs : je pense que c’était avant tout avec la préoccupation de leur faire constater cette genèse et cette parité des formes que l’étude vétilleuse de l’anatomie, à l’École, ne laisse pas plus soupçonner à l’artiste qu’elle n’enseigne à l’étudiant en médecine les se-crets de la vie. Le cas d’Eugène Carrière est, dans notre temps, absolument spécial. On voit bien qu’il est issu de Velasquez et de Rembrandt, qu’il s’apparente un peu à Prudhon et da-vantage à Ricard : mais ces remarques fa-ciles ne signifient pas grand’chose. Voici un homme qui, dans une époque d’impression-Msme, de primesaut, de brillante improvisa-tion, s’est voulu grave, assourdi, patient, fermé, condensant une silencieuse et intense énergie psychologique. Il avait tout pour être ignoré à jamais, comme Ricarci, et de ces deux hommes la force mystérieuse a attiré vers eux quelques fidèles, peu à peu devenus foule, courtise la montagne d’aimant dont parle la légende, qui attirait les clous des vaisseaux la côtoyant. On a d’abord rendu justice à la science picturale de Car-rière, magistralement sûr de ses valeurs, de ses plans; puis on a rendu justice à son sentiment attendri des maternités, à la dis-tinction mystérieusement intellectuelle de ses effigies modernes; puis on l’a loué d’ai-mer et d’exprimer rame de la femme du peuple et de donner l’exemple d’un grand artiste réputé ne dédaignant pas le socia-lisme, préférant les faubourgs ouvriers aux salons; mais après le portraitiste divinateur qui a signé des œuvres comme le Devinez, le Séailles, la Famille Ernest Chausson, l’évocation de Daudet malade, le Geffroy, le Verlaine, ou cette exquise silhouette d’après Nm, F.-, c’est-à-dire des merveilles, après le père et le peintre émus qui ont su créer des s scènes d’enfants» non pré-vues par Schumann, après le pensif libertaire qui, dans cette affiche troublante de l’Aurore où une femme se passe la main sur les yeux, peignit à la fois l’allé-gorie de son rêve social et de son rêve artistique, après tous ces Carrière définissables et con-nus, un autre Carrière se lève, et celui-là est un halluciné, un voyant, un inclassable; celui-là, comme son ami Rodin — et eux deux seuls dans tout l’art actuel — ose oublier ce qu’il a appris, aller plus loin, deviner, pressentir, frémir, et emmener avec lui tout le vraisemblable des notions esthétiques dans un inconnu périlleux. L’interchan-geable se manifeste en ces deux hommes par une alliance étran-gement faite pour nous éclairer à leur suite : tandis que Rodin cherche à faire glisser sur les surfaces de ses grands plans adoucis une spiritualité de lu-mière diffuse jusqu’ici refusée aux sèches arêtes du minéral, EUG. CAHRIERF. 68 L’ADDITION Carrière cherche à préciser dans FIND ART DOC