L’ART DÉCORATIF EUGÈNE CARRIÈRE ÉTUDE D’ENFANT lonnes, au torse mouvant où se gonfle le « sein sur lequel lourdement s’appuie la tète « dans l’accompagnement d’un cou souple et ftirt, ainsi un beau fruit de sève pressé « contraint sa branche. «Le front massif ombre les veux et la « joue doucement amène la lèvre à ramons « rente demande. e Les formes se cherchent et se rejoi-gnent dans de voluptueux désirs de vio-« lence et de résignation, révoltées et obéis-« santes aux lois auxquelles rien ne se dérobe; « partout triomphe une logique consciente. « L’esprit généralisateur de Rodin lui a « imposé la solitude. Il n’a pu collaborer à « la cathédrale absente; mais son désir d’hu-« manite le relie aux formes extérieures de 0 la nature. s On a beaucoup écrit sur Rodin : ayant moi-même contribué à plusieurs reprises à grossir le fatras, je puis bien dire qu’il n’y a pas un critique d’art capable, en ce temps, d’une telle page. Elle serait l’honneur d’une vie de critique : Rodin, âme et œuvre, est là tout entier, révélé avec une noblesse, une 66 concision, une propriété d’expression incom-parables. Cependant les mots sont apparem-ment les premiers venus ; d’où vient donc la beauté plastique dé telles paroles ? Du ma-gnétisme intérieur de la pensée concentrée, du sens de l’interpénétration de tous les arts. Et comme chaque fois qu’on atteint à cette suprême maîtrise, de ce fait seul, alors qu’on parle même d’autrui, on se révèle soi-même, ces quelques lignes nous disent aussi Pes-sentiel de Carrière et de son âme. Plus Carrière a travaillé, et plus les formes se sont, à ses yeux, interchangées avec d’autres farines qui en paraissaient dis-semblables. S’il eût étudié successivement de nombreuses formes, il eût cru à la réalité distincte de chacune : en étudiant toujours les mêmes, il s’est aperçu qu’elles en évo-quaient d’autres, et ainsi, plus il semblait apprendre toujours les mémes, plus il les dissolvait par l’analyse, et plus il les ren-dait, de matérielles, idéologiques. Il décou-vrait par degrés qu’aucune forme n’est en soi, mais n’existe que par réciprocité à d’au-tres. C’est ce que pensent le géomètre et le métaphysicien. Carrière est arrivé ainsi à l’état d’aine d’un visionnaire dit vrai, n’ayant aucun besoin de symboles et d’allégories, mais les découvrant dans un geste de la vie habituelle, et oc pensant, ne sentant presque que dans une l’or me synthétique. Cela l’a conduit à simplifier la peinture, à chercher avant tout les plans, les volumes, à suppri-mer les jeux charmants de la couleur, qui sont au dessin ce que la réalité apparen-delle est à la réalité absolue, à exprimer certains aspects non par eux-mêmes, niais par le contraste de d., autres. Il y a dans l’admirable recueil de M. Piacca, à ce point de vue. des documents précieux, notamment une étude de trois femmes groupées : le mouvement enveloppant des grandes touches sinueuses qui les cerne et les définit est exactement celui des membrures d’un tronc d’olivier, fat visages et mains sont des noeuds. Et cette étude en même temps ressemble à un bois gothique. Le moderne l’a peinte avec l’âme d’un imagier du XIII° siècle. Chez Rodin aussi — le frère intellectuel de Carrière — on trouve cette âme erratique, cette référence au moyen âge et à la primi-tivité. Il a fallu à Eugène Carrière une in-croyable faculté de repliement sur soi-même, FIND ART DOC