MARS 1902 L’EXPOSITION DE LA SOCIETE «LES ARTS RÉUNIS» C’EST ici une exposition de délicats, et aussi une exposition homogène et harmonieuse, parce que s’y trouve réalisée en son expres-sion véritable et parfaite l’idée de groupement. Vingt-cinq artistes réunis là se sentent les coudes, et la gloire de quelques-uns n’écrase pas comme ailleurs l’effort du voisin plus modeste. Et c’est présage de beaux lendemains, que la valeur d’ensemble et la variété des talents réunis en ce petit Salon, le deuxième qu’organise la jeune société créée en 1901 sous la présidence de M. Gustave Soulier. Une note domine si nettement l’impression d’ensemble que l’exposition s’en trouve, dès le seuil, caractérisée. C’est la présence d’une majo-rité de paysagistes, et, parmi eux, d’une majorité de paysagistes sensibles et pensifs tels que MM. Fernand Maillaud, Bellonget-Adhémar, Henri Guinier, Dombeza, — entre autres. Un rayonnement de charme doux émane de leurs oeuvres et fait ressembler pour un temps la galerie Georges Petit à quelque temple élevé là par de fervents panthéistes. M. Bellonget-Adhémar, de ce charme rayonnant, a ravi la formule aux ciels gris, aux ciels profonds, aux lumières adou-cies de Dordrecht et de Bruges; et M. Dombeza l’a rapportée de Tolède, en s’en venant par la Bretagne, tandis que M. Maillaud, peintre cu-rieux d’effets sobres, tour à tour la demandait aux horizons ou aux demeures du Berry, à la douceur grise et bleue des nuits de septembre, aux pittoresques soirs des petites rues de la col-line Sainte-Geneviève. Ravissement, que tout cela; et ravissement aussi que l’accent intense et doux, et pensif encore cependant, que sait mettre M. Guinier en la plupart de ses oeuvres. J’aime aussi l’âpre et vigoureuse nature arté-sienne qu’a si bien su traduire M. A. Lechal; et l’ampleur de lumière et d’air qui tient en les petites toiles de M. J. Remond, et les somptueux Venise de M. Allègre, et les curieuses marines, de si riche et si imprévue couleur, exposées par M. W. Blair-Bruce. Il y a enfin beaucoup de charme encore dans certaines toiles de M. Son-nier, qui a repris ailleurs, sans la rajeunir, l’idée vieille et suffisamment banale de la dame nue, effrontée et rose, qui s’appelle Fleur d’été. Et vous encore, M. Albert Thomas, vous fîtes des femmes-asphodèles entourées, je vous en loue, de quelques sobres et bonnes études … Statuaire à ses heures, Mme C. Bénédicks-Bruce sait laver, en d’autres instants, de fortes et lumi-neuses aquarelles, bien en vigueur. Et quant à celles de M. Henri Jourdain, c’est en dire beau-coup de bien que noter une certaine parenté d’inspiration et d’exécution entre elles et certaines oeuvres de M. Gaston Latouche. M. P. E. Cornillier expose admirables san-guines, et je ne sais rien de plus distingué que la couleur de ses études peintes. Admirables d’expression douce, de dessin et de couleur aussi, les trois portraits de M. Lauth, celui surtout de Mme G. de F. J’ai gardé pour la fin les noms de trois artistes également personnels, dans des notes bien diffé-rentes, et dont l’oeuvre compte pour une part notable dans l’intérêt de ce Salon : M. P. E. Vibert, M. Henry Detouche et M. André De-vambez. Le public les connaît tous les trois. Ils sont en effet de ceux qu’on distingue parmi la foule, et qu’on retrouve au premier coup d’oeil, chaque fois avec une personnalité plus accusée. Les des-sins de M. Vibert sont nerveux et larges, robustes et beaux, avec d’ardentes poussées de nature comme dans la végétation libre des forêts. La gravure sur bois, que l’artiste pratique en maitre, s’adapte admirablement à cette solide et vigou-reuse manière. Sous des apparences de délicat, de raffiné, c’est de la force encore qu’il y a en M. Detouche. Une force généreuse et souriante, déjà appréciée dans les eaux-fortes en couleurs que les ama-teurs se disputent, et qu’on retrouve aujourd’hui dans six aquarelles d’une exécution et d’une cou-leur aussi curieuses que délicates. M. André Devambez adore le pittoresque. Il en connaît toutes les formules, je dirais presque le mécanisme. Rien ne le séduit autant que la foule en mouvement, avec ses mille attitudes, ses cent mille sourires et ses innombrables ridi-cules. Il sait fixer le tout sur la toile avec une singulière abondance d’esprit dans les détails. C’est l’observation dans le fourmillement, et sa Course d’automobiles, sa Fête au village, son École, vue du cinquième étage, sont des oeuvres curieuses, qui resteront. Mais l’humour, le pittoresque, y sont parfois poussés jusqu’à la fantaisie, et j’aime encore mieux pour ma part le sobre, et large, et délicieux Marché à Troyes, où l’on sent mieux le peintre et moins le spécialiste… Parmi les sculptures, à côté de M. J. Froment-Meurice, au talent si connu, il y a M. Eugène Boverie et M. Reymond de Broutelles. De ce dernier, à côté d’importantes « machines», deux oeuvres excellentes, d’expression fine et caracté-ristique: l’Adolescente (marbre) et l’esquisse d’un monument érigé à Lausanne. Une déception vient de ne point trouver ici tout l’art appliqué que pouvait faire espérer le titre de la Société. Les oeuvres de la catégorie « objets d’art » sont en petit nombre et je n’ai pu noter que deux meubles de M. J. Boverie (un dressoir et un bureau), de jolis bibelots de M. En-grand, une belle suspension de M. Gilbert Péjae et quelques-uns des bijoux de M. F. Bocquet. Cette partie de l’exposition des Arts Réunis laisse 257 FIND ART DOC