IIÎ L’ART DÉCORATIF fions; une boîte de laque en forme de pousse de bambou ; un étui de pipe en ivoire ; un autre en bois, auquel se trouve attachée la boîte à tabac, décorée de grenouilles ; une pointe de flèche ajourée, que l’on verrait fort bien transformée en épingle à chapeau ou en épingle à chignon; des coulants de sabre, qui semblent aussi bien faits pour être des coulants de cravate ; et enfin, un choix de gardes de sabres des XVe, XVIe et XVIIe siècles, merveilleusement composées, et où l’on pourrait prendre des idées pour le dessin bien adapté d’une boucle de ceinture ou d’une entrée de serrure. Et dans tout cela, nul déséquilibre de forme, nulle déformation systématique, mais le sens précis de la composition ornemen-tale qui sait choisir ses sujets. C’est de ces éléments-là que se fait la nouveauté. O. GERDEIL. PARADOXES (A PROPOS D’ORFÈVRERIE) J’AI toujours pensé que la préoccupation de décorer tient trop de place dans l’esprit de ceux qui cherchent à créer de beaux objets, et qu’elle est un obstacle à l’éclosion d’un art industriel vraiment en rapport avec l’esprit de notre temps. L’effort des artisans d’art se porte tout entier sur le remplacement des vieilles formules déco-ratives par d’autres. Ils ne fument plus, le mé-decin le défend. Ils prisent à la place. C’est tou-jours le tabac. La question d’art moderne — puisque c’est le mot reçu — est plus large que cela. Une des différences fondamentales entre notre so-ciété et celles d’autrefois est le mode de la produc-tion. Toutes les autres se lient étroitement à celle-là. Au moyen âge, la consommation est faible, la production s’accomplit en petit, chaque produc-teur travaille isolé. Le travail est personnel, le produit une oeuvre personnelle. Aujourd’hui, la consommation est immense, elle croit suivant une progression inouïe; la production vient de l’usine, sa base est la division du travail et la substitution de la machine à l’homme. Le pro-duit est une oeuvre anonyme. L’objet d’aujourd’hui ne peut pas ne pas re-fléter cela. En cherchant à se soustraire à cette fatalité, il est aussi anachroniqu’e que le mon-sieur qui s’en irait promener sur le boulevard dans le costume des contemporains de saint Louis. Les insignes de l’empire du Soleil-Levant sur la poitrine et le dos n’y font rien. Les promoteurs de la remise en honneur de l’art dans les objets, Ruskin et William Morris, faisaient du retour aux modes de production du moyen âge la première condition de l’avènement de la beauté telle qu’ils la concevaient, c’est-à-dire de la manifestation du sentiment personnel de l’auteur dans chaque objet. Logiques dans la poursuite de leur chimère, ils proscrivirent la machine et la division du travail ; ils enseignèrent, et les directeurs des Arts and Crafts Corpora-tions, issues d’eux, enseignent encore que l’artiste ne doit pas seulement concevoir l’oeuvre, mais l’exécuter de ses mains. Nulle manifestation complète du sentiment individuel n’est possible hors de là, disaient-ils. En tenant cela pour vrai — quoique ce ne le soit qu’en partie — l’erreur de Morris fut de croire que le soleil s’arrête en-core à la voix de Josué. Veut-on rétrécir le rêve de Morris en divisant la production en deux branches, l’une purement industrielle à l’usine, l’autre artistique dans des Arts and Crafts Corporations? Soit. Mais alors, adieu d’abord le rêve d’universelle beauté, si la beauté se confond avec l’art et n’existe que dans la traduction parfaite d’un sentiment personnel, comme l’affirmait Morris. Ensuite, que pourront les Arts and Crafts Corporations contre le flot montant de l’esprit scientifique, par lequel l’in-térêt de l’humanité à ce qui vient de la science va toujours grandissant, et celui qu’elle porte à ce qui vient du sentiment s’affaiblit ? Telles sont — autant qu’il est possible d’ex-poser une question si complexe en quelques lignes — les réflexions dans lesquelles la re-cherche des lois actuelles de l’esthétique des objets — vulgo, d’un art nouveau — devrait prendre sa base. Le reste n’est que déductions. «Je croyais que c’est de la préoccupation de décorer que vous vouliez nous parler:» J’y viens. Parmi les objets dont nous nous entourons ou nous servons, il y en a qui sont purement décoratifs par définition. Une frise, un bijou n’existent que pour la décoration et par la décoration. Dans d’autres, la décoration est une addition étrangère à l’essence de l’objet : tel le cas d’un meuble orné de sculptures. Entre ces deux extrêmes, il y a tous les degrés. Une por-tière, des rideaux peuvent être d’un tissu tout uni ; niais l’idée de faire vibrer quelque jeu de couleur sur la surface plane de ce tissu s’offre si naturellement qu’elle devient presque insépa-rable de celle de l’objet même. Un vase qui n’est là que pour le plaisir des yeux se transforme presque spontanément en une fantaisie. Dans les objets décoratifs par définition, l’in-tervention de l’artiste dans la production n’est tenue à compter qu’avec l’harmonie des couleurs et du dessin, avec la relation de la partie à l’en-semble. Mais quelle sera la nature et l’étendue 252