Ih L’ART DÉCORATIF à lui-même n’est pas complètement achevée, et c’est grand dommage, pour. nos lecteurs et pour nous, que manquent ici les repro-ductions du salon si intime et si gai, et de la salle à manger si lumineuse et si accueil-lante avec ses murs blancs. L’ingénieuse et très imprévue appropria-tion du plan n’est pas en effet la seule inno-vation heureuse que M. Horta ait réalisée chez lui. Il a voulu tenter une application encore inédite de la brique émaillée blanche, en l’employant pour le revêtement des murs de la salle à manger, et malgré la fabrication encore imparfaite, qui a nécessité pour un emploi de ce genre une sélection longue et coûteuse, l’effet est délicieux de gràce, de simplicité et aussi de couleur. Car la surface doucement brillante de ce revêtement em-magasine et restitue délicieusement toutes les harmonies de la nature, les couleurs du ciel, les tons de la verdure et ceux du crépuscule; aussi, avec son plafond voûté, sa belle frise décorative modelée par M. Pier Braecke et sa bordure inférieure en marbre rouge, avec ses cuivreries souples et déliées, cette salle à manger peut certainement compter au nombre des plus charmantes trouvailles du maître. En écrivant ce mot de maitre, si courant et d’un emploi si facile, si répandu à tort et à travers dans les arts, je vois d’ici le sou-rire sceptique de cet homme laborieux et simple, d’esprit sensible et d’enveloppe rude qu’est Victor Horta. Maître, il l’est, certes, et l’art où il s’est montré novateur si abon-dant et si puissant peut reconnaître en lui une de ses lumières, une de ses physionomies les plus personnelles et les plus hautes par l’importance de l’oeuvre et par la puissance de l’esprit. Mais lui seul semble l’ignorer, travaillant à l’écart avec une saine horreur de la réclame et des journalistes, après dix ans de succès et de gloire naissante comme aux premières heures de la lutte. J’aurais voulu parler du désintéressement avec lequel il poursuit sa campagne en faveur du beau et du vrai, montrer ses efforts incessants pour obtenir des fabricants, mal préparés et parfois difficiles à convaincre, les modèles et les accessoires dont il a besoin, dire enfin son intraitable souci de perfection, et bien d’autres particularités encore, qui font de ce caractère d’artiste un des plus curieux de ce temps. Mais si la place manque aujourd’hui, sans doute l’avenir nous apportera-t-il des cir-constances plus largement favorables. Victor Horta n’est encore que peu connu et dans un cercle trop étroit, en notre pays. Sa mo-destie et sa vie retirée y sont pour beaucoup. Néanmoins, on peut penser, avec des appa-rences de raison, que les circonstances le décideront quelque jour à construire à Paris. Une occasion et un caprice pourront ainsi nous donner la joie et les enseignements d’un nouveau joyau architectural, et ce sera certainement une bonne fortune pour la Ville de lumière et d’art. EMILE SEDEYN. DENTELLES NE devrait-il pas y avoir autour de nous une abondante floraison de dentelles, d’un caractère neuf et varié? Il semble qu’il y ait, dans la rareté des modèles nouveaux qu’il est possible de trouver exécutés, une véritable anomalie. La dentelle, en effet, trouve sa place, sa place charmante et où rien autre ne saurait fournir un équivalent, non-seulement dans la toilette féminine, mais encore dans mille détails du décor domestique, décor de fe-nêtres et décor de la table, par exemple, sans compter d’autres imaginations possibles. Jamais, peut-on dire, la parure de la femme, de même que l’aménagement intime et douilet de sa maison, n’a eu autant recours à ce qu’il y a de plus coquet, de plus minutieux, de plus réellement féminin dans les raffinements de la décoration : les broderies, les dentelles jouent un rôle de plus en plus important, si l’on y songe bien, dans le caractère de l’ornement moderne. Or, alors qu’il n’y a point de motif trop nouveau pour les ouvrages de broderies, alors que l’on y veut tou-jours plus la hardiesse de l’inédit, sur le chapitre de la dentelle la recherche se fait soudain classique : on collectionne les vieux points, on utilise de l’Alençon ou du Venise, ou les lourdes guipures d’Irlande, sans avoir l’air de prendre garde à autre chose qu’à la beauté et au prix du travail. Alors que la curiosité, la soif de nouveauté aiguillonnent partout ailleurs l’invention, on maintient ici dans la stérilité un métier qui mériterait d’avoir de plus beaux jours. 242