L’ART DÉCORATIF L’escalier prend naissance dans un hall un peu sombre, où s’ouvrent le vestiaire et le salon d’attente. Puis, il s’élève, il monte dans la lumière tamisée et colorée que laissent tomber d’en haut une admirable verrière et de larges baies. C’est un escalier triomphal, presque, plutôt qu’un escalier d’honneur. Après la halte d’un large palier intermédiaire, c’est le premier étage, où le salon et la salle de billard d’un côté, la salle à manger de l’autre, attendent les hôtes. Et l’escalier poursuit son ascension dans un peu plus de lumière encore, jusqu’aux chambres et jusqu’au jardin d’hiver qui combine ses parfums et ses verdures avec les lignes et les couleurs des vitraux. C’est une condition que remplissent tous les escaliers de M. Horta, ce départ dans un demi-jour discret, et cette ascension dans une lumière gaie, qui s’accroît et se fait plus souriante et plus vive, à mesure qu’on se rapproche du home. En reproduisant beaucoup d’escaliers, peut-être espérions-nous caractériser ainsi la physionomie que sait leur donner l’architecte; mais nos images monochromes ne sauraient avoir cette pré-tention, encore moins y répondre, même de loin, et l’exemple perd, de ce fait, le meilleur de sa signification. Nous le re-trouvons cependant dans les deux autres escaliers, avec moins d’ampleur peut-être, mais avec autant de charme et de distinction. La photographie, qui nous trahit en ce qui concerne les couleurs, se montre plus fidèle à reproduire l’aspect général et le détail des formes. Elle nous permet, notamment, de suivre l’harmonieux et pittoresque mouve-ment des lignes dans tous les ouvrages en métal : rampes d’escalier, balcons, lustres, etc. La ligne! N’est-elle pas une des particularités de l’ceuvre de M. Horta, cette courbe bien à lui, robuste, élégante et souple, qu’on re-trouve à peu près dans tous ses motifs dé-coratifs, où elle intervient bien plus rare-ment, certes, comme un simple ornement, qu’avec une utilité, un rôle bien défini? D’où vient cette ligne qui a provoqué quelques critiques, tout en stimulant beaucoup d’ému-lations, en Belgique et ailleurs? J’entends d’ici le grand mot si éloquent et si creux : de la Nature ; mais ce n’est pas une réponse. A la nature, sans doute, l’artiste a pu demander le secret des lignes robustes et frêles, des ondulations souples et capricieuses. Mais il ne pouvait adapter à une oeuvre toute de réflexion et de logique ces har-monies toutes faites et invariables. Il les a assouplies aux formes usuelles, aux pieds de la table, aux chapiteaux des colonnes, aux consoles, aux moulures, aux branches des lustres et aux boutons des portes. En passant par son cerveau, la ligne initiale, la ligne naturelle est demeurée un principe, mais un principe anonyme et qui, suivant ses adap-tations, se développe en puissance, en mouve-ment, en expression, sans rien perdre de son charme. La raison, le sentiment, la logique, — voilà ce que Victor Horta sait ajouter au grand mot de Nature, et c’est tout le secret de la tenue parfaite, de l’homogénéité irré-prochable de tous les ensembles qu’il a créés. C’est aussi le fond et la force de sa réponse toujours prête aux critiques formulées sur l’une quelconque de ses lignes ou de ses formes : Vous critiquez l’apparence, vous y voyez une recherche d’excentricité voulue; moi, j’ai cherché la forme la plus logique, celle qui convient le mieux à son but, et j’ai dû passer ensuite plusieurs jours à la simplifier. Donc, critiquez l’aspect, mais vous demeurerez impuissant contre l’emploi. C’est ici l’occasion d’ajouter que Victor Horta étudie de la sorte tous les accessoires de la maison : ferronnerie, meubles, tapis, appareils d’éclairage, vitraux, etc. Et cela, non seulement sur le papier, mais en des modèles qu’il établit lui-même, afin de mieux guider l’exécution. Mais revenons bien vite à notre som-maire description des trois logis qui nous intéressent plus particulièrement aujourd’hui. Dans l’hôtel de M. Solvay, le salon et la salle de billard sont séparés par une cloison articulée qui permet de réunir les deux pièces en une seule, aux soirs de grandes fêtes. La place et les mots font défaut pour montrer la véritable symphonie de couleurs et de lignes qu’est cet admirable salon, depuis le dessin du tapis jusqu’à celui du plafond en passant par tous les détails de l’ameuble-ment et des tentures. Les colorations jaunes y dominent, même dans l’ameublement, qui est en citronnier. Avec l’éclairage abondant, et distribué de toutes parts avec un tact exquis, l’ensemble est d’une somptuosité pleine de mesure et pourtant d’éclat. A re-marquer, en même temps que le lustre, ma-238