est tel qu’il eût allégé, stylisé les sujets les plus lourds, tout en restant littéral et en n’arrangeant pas. C’est par un certainusage du noir, d’un gris qui lui est particulier et n’emprunte rien à ceux de Velasquez et de Corot, par une certaine accentuation magistrale qu’il a évité l’imitation du réel en en donnant l’expression. Avant d’être le portrait d’une vulgaire verseuse de-vant un comptoir, le Bar des Folies-Bergère est une magnifique symphonie de tonalités dorées, avec son fond de glaces reflétant une salle illuminée de giran-doles, avec la nature-morte puissante du premier plan. La griffe léonine du maître peintre a passé par là. Manet , comme l’ont fait les Goncourt, comme devait plus tard le faire définitive-ment M. Paul Adam en quelques-uns de ses premiers romans , a saisi le côté décoratif des lieux de plaisir modernes, leur éclatante facticité, et n’a jamais négligé de s’en servir, étant instinctive-ment fastueux. Il recherchait le caractère dans le brillant, et n’était pas porté au pessimisme dans le vrai. L’oeuvre moderniste de Degas, au contraire, s’est tenue volontairement dans le gris, conçue par un esprit ironiste et amer, qui s’est complu à donner de terribles documents de laideur et de névrose, avec une froide impartialité apparente, n’outrant pas jusqu’à la caricature, mais au fond avec une préfé-rence secrètement narquoise. Même dans sa série de danseuses, où son goût de grand coloriste, renonçant au gris, s’est satisfait en réalisant d’admirables harmonies d’or et de roses, il n’a pas manqué de peindre tel qu’il est le corps de la danseuse contemporaine, avec ses jambes fortes, ses épaules creuses MARS 1902 A. RENOIR 2 19 JEUNE FILLE LISANT et son masque encanaillé par l’atmosphère vicieuse des coulisses. Plus il précisait la beauté symbolique de la danse, plus il en isolait la laideur individuelle de l’être qui en fait métier : sous la gaze lumineuse de l’être-fleur ou du papillon, il révélait «le rat» cher aux vieux habitués, rappelait son origine faubourienne, faisant preuve ainsi d’une vision à la fois aussi cruellement dés-enchantée que celle de M. Huysmans et aussi idéaliste que celle de Mallarmé. Et c’est cette dernière vision qui a prévalu dans les pay-sages irréels, pures associations d’harmonies, que M. Degas a peints en ces dernières années. La peinture de ce maître est d’un grand psychologue misanthrope. Mais le réalisme de M. Renoir apparait très différent du réalisme de M. Degas, et mème de celui de Manet. M. Degas s’inté-resse à son époque en critique, mais il ne