L’ART DÉCORATIF jamais tout M. Renoir. Entre les Baigneuses et la Fin de déjeuner ou La Loge, il semble qu’il n’y ait aucun rapport, ni de technique, ni de style, ni de sentiment; et cependant un même homme les a faites, et nul autre n’aurait pu les faire, ce qui est déjà la preuve qu’il y a entre elles des relations secrètes. Deux oeuvres extrêmement personnelles ne sont jamais tout à fait dissemblables, parce que leur création a nécessité l’usage des fa-cultés d’une logique supérieure, synthétique et unitaire, et c’est le fait de remonter à cette logique en partant de ces dissemblances qui constitue la tâche de la critique. Mais de telles analyses ne pouvaient être menées à bien dans de hâtifs articles de journaux répondant à de non moins hâtives diatribes à une époque où les articles de Zola, sym-pathiques à Manet, créaient un tel scandale qu’on lui adjoignait un collaborateur d’idées opposées. Elles n’ont guère pu l’être davan-tage dans des périodes plus récentes; qu’on se souvienne de la protestation véhémente, des menaces de démission de certains pro-fesseurs de l’École lors de l’admission offi-cielle du legs Caillebotte, « introduisant dans les musées des oeuvres qui sont la négation même de ce qu’ils étaient chargés d’en-seigner.» Il faut laisser mourir l’écho de telles violences pour pouvoir réaliser une critique impartiale avec le recul nécessaire, une critique qui dépasse la louange ou le blâme et s’élève à la compréhension exacte. M. Renoir a pu peindre à la fois ses Baigneuses primitives et les êtres de notre temps, parce qu’il a recherché en eux les mêmes éléments, la caresse de la lumière, l’exubérance vitale, les sentiments primor-diaux, les aspects picturaux, selon une constante faculté de poétisation que, dans le modernisme, il a su mêler à l’observation journalière : et cette intention lui est propre. La vision réaliste de Manet n’a jamais admis la poétisation volontaire, hormis celle qui résulte des couleurs elles-mêmes. C’était un réa-liste, un homme ex-trêmement intelligent et spirituel, qui considérait la vie sous le même angle que les Goncourt ou Zola, plutôt avec l’a-cerbe finesse des uns qu’avec la puissance assez sommairement gé-néralisatrice de l’autre. Le Bar des Folies-Ber-gère, Argenteuil, Nana, Cheî le père Lathuile, le Skating, voilà des pages détachées des romans im-pressionnistes des Gon-court. C’est le même souci de réalité aiguë re-haussée par la vision sin-cère, mais malgré tout affinée, d’un aristocrate, car Manet l’était jusqu’au bout du pinceau, et toute son oeuvre est d’une dis-tinction singulière. Nous l’avons bien vu depuis par comparaison à des réalistes même doués d’un sérieux talent comme M. Roll. Le coloris de Manet A. RENOIR FEMME LAVANT DU LINGE 218