L’ART DÉCORATIF A. RE14011i vives, tantôt verticalement, tantôt dans le sens des modelés. Ainsi est peint le Déjeuner des Canotiers, où figure une des plus admi-rables natures mortes qu’on puisse voir dans l’école française, ou encore la Fin de déjeu-ner, si large et si minutieuse, où un homme barbu allume une cigarette avec une allu-mette dont on voit rougir le bois, et cela sans mesquinerie d’exécution. On ne peut s’empêcher de songer à l’allumette jetée à terre du Graveur à l’eau-forte de Meissonier, pour comparer le puéril triomphe de la pein-ture finie n à la vraie et franche peinture. Dans la Loge, la facture devient beaucoup plus large. C’est un régal de tonalités assour-dies, de subtils ivoires, un poème de trans-parences alternant des opacités. Ce morceau, pour nous le plus beau qu’ait signé M. Re-noir, égale en channe purement pictural les plus savantes choses de Reynolds, de Gains-borough et de Lawrence l’exécution en est aussi riche et aussi élégante que le sujet, on aimerait découper un morceau de cette toile POleTRAIT DE SISLEY et en examiner la matière comme un bibelot, elle peut donner un plaisir analogue à ceux que goûtent les connaisseurs de très vieux vins ou les amateurs de porcelaines chinoises qui, indifférents à leurs délicieux orne-ments, en palpent la sur-face en fermant les yeux. Mais la technique du portrait de Jeanne Sa-mury est encore diffé-rente. Le visage, les épaules, la gorge, les bras, sont peints au cou-teau à palette, les yeux, les sourcils, la bouche, les narines s’y inscrivent au pinceau avec la préci-sion des dessins japonais, on dirait presque avec du khol, des cosmétiques et un bâton de rouge, tan-dis que les gants et la robe sont peints en pleine pâte. Les volants de la robe, blanc sur blatte, sont presque en relief. C’est d’une exécution à la fois étourdissante et naïve. C’est fait avec rien, c’est une improvisation de couleurs ac-cumulées dans une sorte d’aveu de l’artiste qui ne sait pas imiter et qui invente, avec une ignorance transfigurée par un goût naïvement exquis. Il en sait peut-être moins long, dans l’art du trompe-Poeil des érodes, qu’un Delaunay ou un Lefebvre, mais il va bien plus loin et bien plus haut, parce qu’il a plus de génie que d’acquit, et que son acquit, constamment renouvelé par la vie, ne l’emprisonne pas dans une stérile ha-bileté. «Chaque fois que je commence un tableau, disait Manet, je me jette à l’eau pour apprendre à nager. » C’est ce que fait aussi M. Renoir — et il apprend. Là où un prati-cien de l’École eût peint une robe, correcte et capable de servir de modèle à une coutu-rière, il a créé une sorte d’incrustation, de poème de la fanfreluche soyeuse vu volup-tueusement par un oeil de peintre sensitif et ima-ginatif, en harmonie avec la figure elle-même de l’attachante diseuse aux pâles boucles d’or. t82 FIND ART, DOC