FÉVRIER 1902 assembler le rose turc, la fraise écrasée, le citron, le vert acide; il les noue et les dénoue en longs filaments, en écheveaux mariés et dissociés. Tantôt il les har-monise par des nuances complémentaires, tantôt il les oppose brusquement, tantôt il se complait à amasser des colorations fades qui écœureraient chez d’autres et dont il tire su-bitement une harmonie, et tantôt il revient à l’harmonie par la dégradation des tonalités les plus crues, exprimant la douceur avec le vermillon, la tristesse avec le jaune d’or, la gaîté avec le gris et la dureté avec le bleu, paradoxal, illégal et bizarre musicien de la couleur, analogue à ce singulier et si atta-chant symphoniste qui a nom Claude De-bussy. On est étonné, inquiet, charmé, dé-concerté, comme devant un cisèle de l’Inde, une poterie barbare ou une miniature per-sane, et on renonce à cerner dans une définition cet excep-tionnel virtuose qui n’a rien des roueries du virtuose, et dont l’amour passionné de la couleur fait toute la science. C’est dans cette par-tie — la plus ré-cente – – de son oeuvreque M. Renoir apparais le plus ca-pricieux et aussi le plus poète des peintres de sa gé-nération, fait pour décourager la cri-tique qui catalogue les hommes au lieu de les suivre. Sa technique n’est pas moins variée que son inspiration. Ses baigneuses som modelées au pinceau dans une pàte étalée au couteau, aussi grasse que la chair elle-méme, nourrie par couches succes-sives, ayant le poli et la consistance du kaolin ; jamais le blaireautage de M. Bouguereau n’en dé-passa la nacrure, le lissage, et cependant cela n’a rien de fade ni de bleme, et ces chairs ne sont pas en porcelaine, elles n’ont rien de léché ”, à cause des cernures précisées des silhouettes, à cause de la vérité des volumes, a cause de la liberté Lies gestes et de tout cc qu’il s’ a de sous-entendu dans la féminité du poème de ces jeunes torses, étrangers aux postures académiques. La’ neuete de, valeurs permet la mièvrerie des chairs d’un rosc pale. Dans les œuvres de la seconde période, M. Renoir continue à empâter violemment, mais c’est alors par d’infinies accumulations de petites touches, plus fines que celles de Claude Monet, moins fougueuses et plus nerveuses; c’est une pluie de minuscules to-nalités qui s’abat sur la toile de grain moyen et la couvre abondamment de ses rugosités A 121,0111