L’ART DÉCORATIF productions de M. Aubert. C’est que M. Aubert est un charmeur. On ne l’analyse pas; devant cet art oit le talent et des connaissances rares se cachent sous de si aimables dehors, on aime mieux s’abandonner au plaisir qu’il fait naître qu’en chercher les raisons. Nous comme les autres. 1. L’ART AU RESTAURANT Les cafés, brasseries et restaurants se sont transformés depuis quelques années avec des fortunes diverses, et leurs nouveaux aspects ont certainement eu leur part d’influence sur leurs nouveaux destins. Car décorer et meubler ces établissements n’est pas chose facile. Ils ont leurs convenances spéciales, et chacun d’eux a les siennes. Il y a vingt ans, après un demi-siècle de cafés blanc et or et de banquettes en velours rouge d’Utrecht, le public était prêt à trouver amusant tout ce qu’on aurait voulu. Les cabaretiers de Montmartre vinrent au bon moment avec leur moyenâgerie en carton. Mais il n’en va plus de même aujourd’hui. L’éducation artistique du public marche à grands pas; on met les bouchées doubles pour rattraper le temps perdu. Les résurrections de vieilleries passent de mode: à peine si l’on en veut encore pour l’art officiel. Il faut du nouveau qui soit réellement du nouveau. Or, ce n’est qu’en s’adressant à des artistes dignes de ce nom que l’on peut le trouver. Quand c’est d’un restaurant mondain qu’il s’agit, la chose demande -un tact extrême. La clientèle d’un tel établissement ne s’en laisserait pas imposer par les gros effets qui suffisent aux brasseries; il faut savoir être discret, même intime; et néanmoins, les hôtes de passage qui viennent y secouer un instant b torpeur des habitudes journalières, «se changer», ne doivent pas se retrouver là comme chez eux: ce ne serait pas la peine. Un salon — qui soit un salon, mais pas comme celui où l’on est tous les jours: voilà le programme. On ne pouvait trouver un art remplissant mieux ces conditions que celui de M. Majorelle, à qui le Café de Paris s’est adressé pour re-nouveler trois de ses salons. C’est, en effet, un art tout d’intimité que celui de M. Majorelle, et c’est en même temps un art d’exception. Sous ce dernier rapport, on pourrait le com-parer à celui de Boule au siècle dernier. Peu de personnes sans doute voudraient meubler leur maison du haut en bas dans ce genre; il y a dans son décor très-marqué quelque chose qui « tire l’oeil » ; sans violence, de la manière la plus aimable du monde, niais enfin qui «tire rceil», et qui est, par là, contraire aux allures tranquilles que veut la quiétude de notre intimité. Mais justement pour la même raison, l’art de M. Majorelle s’adaptait à merveille aux salons d’un restaurant élégant, et c’est avoir fait preuve de discerne-ment que de l’avoir choisi. La féconde imagination de M. Majorelle s’est déployée à l’aise dans cet ensemble. La plu-part des pièces qui le composent sont des trouvailles, tant par la nouveauté des formes que par celle des détails qui viennent les en-richir. Les cheminées, le plafond à rinceaux tournants du grand salon, les étagères aux angles du même salon, les portes, les encadre-ments de fenêtres, puis une foule de détails comme les boutons des portes, les plaques de garde, etc., témoignent d’une richesse d’inven-don peu commune, en même temps que d’un sens très-délicat des formes. La manière de M. Majorelle est aujourd’hui trop connue pour que nous entrions dans une description; et d’ailleurs, dans cet art tout de finesse et fourmillant de détails, les descriptions et même les reproductions n’apprennent que peu de chose. Observons cependant que la transformation dont les meubles exposés dans les derniers temps par M. Majorelle donnaient l’indice s’accuse encore ici. L’artiste tend de plus en plus à soumettre son exubérante fan-taisie à la logique des constructions; la mem-brure des meubles est maintenant bien accusée et robuste, sans que la délicatesse des formes en souffre aucunement. D’autre part, la mar-queterie, qui joue un si grand rôle dans sa manière, est beaucoup moins en évidence qu’autrefois; les motifs, quoique variés à l’in-fini, dérivent tous du même sujet (la feuille du maronnier), et la couleur ainsi que la com-position sont conçus de manière qu’elle se fonde mieux dans la tonalité générale des pan-neaux. Il en résulte que l’attention ne s’épar-pille plus sur le détail, et l’harmonie des cou-leurs y gagne en unité; surtout, il s’établit entre la construction et la décoration une sorte de lien qui manquait aux compositions antérieures de l’artiste. En somme, l’oeuvre atteste d’importants pro-grès chez M. Majorelle. Nous sommes loin du temps — pourtant encore si proche —où ses meubles serraient de près les dévergon-dages du «maint furniture» des Anglais. Du reste, avec l’artiste si bien doué, doublé d’un ingénieux technicien, qu’est M. Majorelle, il faut s’attendre encore à d’autres changements, qui feront de son oeuvre une des plus inté-ressantes manifestations de l’art français moderne, sans qu’elle perde cependant son caractère d’exceptionalité. 1. 161