L’ART DÉCORATIF -(2;e—:— ordinaire. Telles qu’il les a conçues pour dé-corer l’escalier et les salles à manger de deux maisons de rapport rue Tocqueville, ses pein-tures au pochoir, sur toile préparée par une couche unie de peinture à l’huile et marouflée ensuite sur les murs, sont destinées à faire école; elles seront le point de départ d’un heureux changement dans le décor des «boites à loyers» parisiennes, de méme que l’architecture de ceux dont M. Aubert était le collaborateur, M. Plumet et M. Benouville, sonne le glas de la mascarade renaissance à laquelle les architectes ne se sont que trop longtemps complu. Ces décors ont coûté moins que les traditionnels peinturlurages du plâtre en simili-marbre et simili-bois, et pas plus que les peu réjouissantes toiles écrues, égale-ment décorées au pochoir (mais quels décors!) fournies par le commerce depuis une dizaine d’années pour le même objet. La reproduction que nous donnons ne peut, malheureusement, donner l’idée du charme tranquille que leur prête le discret effacement des couleurs: un soupçon de couleurs, et si distinctes, pourtant! Tout au plus cette reproduction, et celles d’autres oeuvres de M. Aubert peuvent-elles attester la grâce et la distinction des dessins, la clarté des compositions, la personnalité de l’artiste, et l’esprit si français que toutes ses œuvres dégagent. Nous disons d’esprit si français». Car l’es-sence du talent de M. Aubert ne peut être mieux caractérisée que par ces mots. Très-personnel, très-neuf, très-moderne dans toutes ses productions, M. Aubert est pourtant comme rattaché par un lien invisible aux traditions françaises. Nous sommes loin, avec lui, des stylisations florales déjà stéréotypées des fervents de William Morris, ou des copies plus ou moins accomodées de décors anglais. M. Aubert n’est d’aucune école, et n’a de parti-pris en rien. Son décor floral, fortement stylisé dans telles compositions, serre ailleurs la nature de près, si les convenances du sujet ou de la desti-nation lui font juger que celà vaut mieux. Indifférence aux dogmes que d’autres lui re-procheront peut-être, mais où, pour notre part, nous voyons une manifestation du tact de l’artiste, et un moyen de plus que son habileté se réserve de varier son’ décor sans jamais verser dans la banalité de l’ancien na-turalisme ni la sécheresse des stylistes ou-tranciers. Et de quelle que manière que M. Aubert les présente, que les fleurs ont de grâce, conne elles sourient, que leurs guir-landes sont souples sous son crayon; qu’elles savent bien captiver! D’autres décors de l’artiste nous montrent la mer et les voiles des pécheurs. Des artistes anglais, M. Voisey, se sont aussi servi de ces motifs. A qui la priorité, nous l’ignorons ; et d’ailleurs, aujourd’hui, c’est un fait commun que plusieurs artistes conçoivent la méme idée à l’insu l’un de l’autre. Ce qui est certain, c’est que l’oeuvre entière de M. Aubert montre en lui l’artiste qui se complait aux choses de son pays, la Normandie, aux aspects de la nature devant lesquels son enfance s’est passée; à la mer et aux barques comme aux pommiers, aux pruniers, aux gerbes de blés, au chèvre-feuille, à l’églantine. Aussi sa mer, ses barques, ne sont pas du tout celles des artistes anglais; le ciel prend dans ses frises une profondeur, la mer une limpidité, les voiles un lointain in-connus de ceux-ci. C’est le méme point de départ; ce n’est pas la même chose. Chez M. Aubert, l’égalité dans la facilité —deux choses qui vont rarement ensemble —rend difficile de faire un choix dans la masse de ses oeuvres pour en mettre quelques spé-cimens sous les yeux du lecteur. Cependant, nous fixerons encore le nôtre sur ses dentelles, une des plus ravissantes inventions que le luxe féminin puisse rêver. C’est sur elles que le suffrage de l’Etat s’est porté quand la France chercha, pour l’offrir à l’Impératrice de Russie, le présent le plus digne d’une grande souveraine et le plus attrayant pour une femme. Les circonstances qui conduisirent M. Aubert à s’occuper de dentelles ne manquent pas d’in-térêt. M. Aubert est des environs de Bayeux. C’est dans cette partie du Calvados que la dentelle de Chantilly se fabriquait depuis le milieu du siècle. La manufacture de Chantilly, fondée sous Louis XIII par la duchesse de Longueville, a produit jusque vers 186o. Depuis la Restauration, ses dentelles noires avaient à lutter contre celles de Bayeux, dont le travail et les dessins étaient à peu près identiques. Bayeux, où la main d’oeuvre était moins chère qu’aux portes de Paris, finit par l’emporter, et continua de vendre ses dentelles noires sous le nom de Chantilly quand l’in-dustrie dentellière de l’Ile-de-France ne fut plus qu’un souvenir. Mais celle du Calvados déclina rapidement à son tour, tuée par la machine; et lorsque l’attention de M. Aubert se tourna de ce côté, il y a deux ans, le nombre des ouvrières, autrefois de 15 000 pour Bayeux seul (sur 6o 000 que comptait la Normandie) était réduit à quelques centaines. Il ne s’en formait plus de nouvelles, et les anciennes étaient à peu prés sans travail. La compassion pour le sort de ces pauvres femmes, ses compatriotes, s’unissant à l’amour-159 20′ FIND ART DOC