L’ART DÉCORATIF N » IV. JANVIER 1899 M. FÉLIX AUBERT Entre les artistes auxquels l’art appliqué doit sa rénovation en France, nous ne savons si M. Aubert est celui dont le nom est le plus familier au grand public. Mais il n’en est pas un dont les oeuvres, ou du moins une partie des oeuvres soit plus connues, car on les voit par-tout, elles sont dans mille mains ; la bourgeoisie riche et moyenne et méme le peuple vivent pour ainsi dire en communion avec elles. C’est par les efforts persévérants de M. Aubert que l’art a pour la première fois en France forcé la porte de la grande industrie. Ces beaux tapis, ces foyers d’un dessin si nouveau, d’une couleur si riche et pleine de distinction, apparus il y a trois ou quatre ans dans les grands magasins, et dans lesquels le goût français a si gracieusement transformé la saine beauté des décors floraux de l’école de Morris, sont de M. Aubert. De M. Aubert aussi ces belles cretonnes et ces tissus d’ameublement ou de tenture en laine, en soie, unis, brochés, dont le caractère nouveau, toujours empreint d’un sens délicat des convenances artistiques et techniques, contraste si heureusement avec les vieux poncifs dont la France avait dû se contenter jusque-là. Si vos yeux, tombant sur une vitrine de magasin, s’arrêtent avec plaisir sur un tissu nouveau, dans lequel le ,mon encore vu» s’allie au «fait sans effort», au charme aimable et à la grâce, soyez sûr que neuf fois sur dix, c’est de M. Aubert que vous regardez l’oeuvre. En consacrant une partie de son talent à l’industrie, M. Aubert rend à l’art le plus grand des services, et le plus rare. Il est facile de dire qu’aujourd’hui l’art doit s’adresser à tous, L’ART DÉCORATIF. No. 4. pénétrer partout, devenir social ; ce sont des mots dans toutes les bouches. Mais combien, parmi les artistes, passent du précepte aux actes? Où sont-ils, ceux qui, acceptant courageusement notre organisation industrielle et commerciale telle qu’elle est, avec ses injustices et ses déboires, s’appliquent à en tirer le meilleur parti possible au profit de l’art et du public ? Tout au plus pourrait-on en citer deux ou trois. La règle générale est que l’artiste con-tinue à concentrer tout son effort sur des objets d’exceptionnelle beauté, sur des unités de pur art, de la production desquelles toute considération de temps, de main d’oeuvre et d’argent est exclue. Loin de nous la pensée de vouloir diminuer la portée de telles oeuvres ; mais on conviendra qu’elles ne peuvent servir que très indirecte-ment la cause de la diffusion de l’art. Cependant, un argument a été inventé pour justifier l’artiste de ne se consacrer qu’à des oeuvres d’exception ou de grand prix. «11 faut d’abord, dit-on, laisser le goût du public se former au contact des oeuvres de pur art. Quand son éducation artistique sera faite, l’in-dustrie s’emparera de ces conceptions, qui la laissent indifférente aujourd’hui, sans qu’il soit besoin de l’y pousser; elle se les appropriera, et leur fera subir les transformations nécessaires pour les mettre, la machine aidant, à la portée de tous.» Cela parait très-juste d’abord, mais ne résiste pas à l’examen. L’industrie peut bien diminuer le prix de l’objet fait en grand, mais il y a une limite à celà; elle ne peut fabriquer pour cent francs ce qui coûte mille francs. Elle ne 157 20 FIND ART DOC