L’ART DÉCORATIF valeurs profondes, relatives à l’ombre qui emplit le tableau, et harmonisées lentement, peu à peu, sans souci du détail. Lavées à l’essence, avec très peu de cou. leur, presque à l’aquarelle, en transparence sur une toile d’un grain assez fort qui boit presque entièrement la première application des tona. lités, les préparations de ces portraits sont reprises partiellement à l’aide de glacis légers, sans pâte, dans une harmonie neutre de bruns et de grins opalisés, d’un ton de verre dépoli. Puis frissonnent quelques lueurs affleurant la toile, comme s’allument les premiers feux dans un paysage diffus et crépusculaire. La face paraît d’un seul ton, avec quelques ombres portées très nettes, quelques coups de pinceau francs soulignant un sourcil, l’ombre d’un dessous de narine, le pli d’un sourire dérobé dans la joue. Un joyau chatoie, discret, à un doigt, le feu rouge d’une fleur hésite à naître dans l’ombre, une fugitive cassure de satin, la paillette d’une guimpe, le réseau d’une dentelle, la laiteuse vapeur d’une gaze bouffante se ré-vêlent avec un luxe éteint. Parfois, comme dans l’adorable portrait de la princesse de Chimay, transparaît sous un voile de tulle noir drapé une pâle jupe de satin rose à peine visible —ou, comme dans le Portrait de M » Salvator (au Musée du Luxembourg,) brillent les paillons d’acier d’un boléro noir cambré sur une jupe anglaise correcte et neutre, ou, comme dans le portrait, de la comtesse de Noailles, un bras nu s’ennuage d’une gaze vert d’eau négligemment pastellisée dans l’harmonie de la robe — et parfois, comme dans le portrait de Sarah Bernhardt, suffit au style la torsion d’une robe blanche à haut col Henri II, sans autre ornement que sa propre coulée laiteuse et ivoirine re-montant du sol jusqu’à la nébuleuse des cheveux mordorés. Et toujours s’impose à ces détails de couleur la volonté de l’artiste grave, amou-reux des luxes assourdis au recul mystérieux de la solitude et du silence. La psychologie de son dessin est minu-tieuse. Il conçoit, autrement que Helleu plus intimiste et que Besnard plus fastueux, la femme du monde comme une créature artificieuse, maîtresse d’elle-même, dissimulant sa spontanéité sous l’obligation de caste, et ayant vu dans la nouvelle façon correcte, anglaise, un peu garçonnière des moeurs anciennement révérencieuses et cérémoniales, un moyen de raf’ finer l’élégance et de composer par grande subtilité une présen-tation apparemment simple de soi-même. Il comprend, sans la cruauté caricaturale d’un Degas, la dévas- tation accomplie dans cet être com-plexe par les maladies nerveuses. Il note les maigreurs du défaut de l’épaule, l’annihilement de la gorge, la minceur enfantine des bras, l’éphébisme presque insexué des hanches, l’amenuisement des torses, autant que les arêtes vives du nez et des pommettes, la cer-nure violente des yeux, l’aspect bizarre des têtes minuscules écra-sées sous le fardeau fiévreux de la chevelure lourde. Et dans tout cela il recompose une beauté carac. tériste, une beauté presque baude-lairienne qui plaît à son instinct de peintre décoratif insoucieux de peindre les belleschairs rutilantes et A. DE LA GANDARA 90 ÉTUDE