L’ART DÉCORATIF heures. Tel est le décor préféré de Ramon Pichot. Voilà ce qu’il regarde. Et voici comment il le rend. Malgré ses emportements ou ses ironies, ne lui demandez point les déformations, les lai-deurs calculées, voulues, de ses deux émules, le choix singulier de Nonell pour les crânes dé-primés, les nez aplatis de ses Crétins de prédi-lection, pour les fureurs dégénérées de son Gilano, qu’il saisit sur le vif, alcoolique, amou-reux, monomane, voleur, assassin, dément… Ricardo Canais, non plus, n’est pas tendre pour la gent corrompue des Cigarières, ni pour la hautaine mendicité des bas-fonds. Cauchemars ou caricatures, d’un brio tout méridional et qui rappelle parfois — tant le Midi se défend bien — la pompéienne causticité d’un vase grec… Ramon Pichot parait plus calme. Il peint, si je puis risquer cette antithèse qui aura tout l’air d’une malice, l’Espagne au repos. Elle existe cependant, cette Espagne laborieuse et digne. Elle agit, mais simplement. Ramon Pichot en a retenu la note grave. En prière, ce sont les profils mats et nettement écrits des hommes, au fond de la chapelle petite, à l’autel bariolé; les joues glabres et les fronts chauves se dé-coupent sur la pénombre; le recueillement est naturel. A la Procession dans les pays catalans, comme aux Mystères du moyen-âge, ce sont les mêmes noires silhouettes qui, plus austères en-core, entourent le fantôme rose d’un Christ un peu théâtral : scène absolument locale, que l’ar-tiste a regardée, comprise, avec les yeux de la foi. C’est la solennité, d’instinct décorative, le è silence espagnol s, que Stendhal prêtait à sa vieille parente… Le passé survit. Cette Pro-cession, comme cette Prière, a son éloquence. Le faire sympathise avec le sujet Dans une gamme plus douce, des types fé-minins, des femmes de la classe ouvrière, avec leurs cheveux fous et leurs yeux de chattes le trait souligne les prunelles brillantes, arrondies, le nez sensuel et la bouche grasse; un sang violent rougit les lèvres; le sourire est vulgaire et fin. Beaucoup de blondes parmi ces Espa-gnoles du Nord, très différentes de l’ardente Navarraise, de la noire et fatale image chantée par Massenet. Ce n’est pas non plus, ce n’est pas encore la Carmen de Mérimée, de Bizet, l’animal très élégant qui a des souplesses félines et des férocités natives. Notez ces deux mar-chandes, sur un fond neutre, encore moins dé-terminé que la banlieue parisienne de Raffaelli, que le terrain vague de Steinlen. Ici, le portrait d’un vieux muletier; là, le corsage clair d’une jeune femme visions familières de chaque jour. Mais voici les Gi-tanes! Leurs poses alan-guies, leurs châles mul-ticolores se détachent sous des berceaux de feuillages , sous ces étranges tonnelles que Rusinol nous avait déjà fait entrevoir dans sa cu-rieuse monographie des Jardins d’Espagne, ex-posée chez S. Bing. Les plantes rares et les re-gards de feu sentent déjà RAMON PICHOT H,xpos, 11e,sNe) 74 LA MANTILLE