L’ART DÉCORATIF lurines étant l’émanation de goûts et de ten-dances différents des nôtres, nous n’aboutirions, dans cette voie, qu’à la froide stérilité des pastiches sans lune et sans vie. Puis ce fut, en Angleterre, la courageuse tentative de William Morris et du petit groupe d’artistes qui l’entourait. Ceux Fi, déterminant nettement leur point de vue, s’imposèrent le devoir de créer, pour les objets d’usage courant, des formes simples et harmonieuses, accusant franchement la destination de ces objets et les matières employées à leur construction. Les premiers temps furent durs; puis, lentement, la raillerie et l’indifférence du début se cal-mèrent, tandis que, de ci de là, les bonnes volontés surgissaient; mais dans leur pays seule-ment, car le Continent ignorait leurs tentatives autant que si elles eussent eu lieu en la plus lointaine des planètes: les vagues Renaissances et les faux Louis XV suffisaient toujours à calmer nos plus grandes fringales de beauté. Enfin, un beau jour, ces idées passèrent la Manche, et sous le nom de meubles anglais, de velours anglais, de papiers anglais, les pro-duits cet art s’installèrent chez nous, timide-ment d’abord, puis, bientôt, partout et au grand soleil. Faut-il s’en féliciter? Faut-il s’en plaindre? L’avenir nous le dira, mais il KELLER R REINER A BERLIN • CRÉDENCE EN CRÈNE TEINTÉ AVEC APPLICATIONS EN FER 58 serait bien téméraire d’en vouloir juger au-jourd’hui, car si ces nouveautés ont suscité chez nous quelques chercheurs réellement épris (le la beauté simple et pure des formes rationnelles, ce mouvement, transplanté dans nos pays depuis quinze ans à peine, a dévié déjà d’une façon stupéfiante. Sous des titres prétentieux : genre anglais, style moderne, style esthétique, on voit surgir de toutes parts les formes les plus saugrenues, les lignes les plus malencontreuses, les compositions les plus vides de sens qu’il ait jamais été donné de contempler à aucune époque. La mode, cette chose futile et changeante qu’on appelle la mode, la mode idiote, s’est emparé de la noble tentative de quelques esprits d’élite. Hélas! qu’en a- telle fait!! Tous ceux pour qui le but suprême était, hier encore, de copier plus ou moins mal les planches que leur envoyait, périodiquement et à bon compte, une publication quelconque, se sont, du jour au lendemain, érigés en fabricants de style moderne, et, sans connaître les lois les plus essentielles de la composition décorative, font voir le jour à de prétendues créations, où s’entremêlent, sans le moindre trait d’union, les formes de jadis et quelques détails empruntés aux plus médiocres des tentatives modernes, (l’iris et le tournesol stylisés, par exemple, qui, grâce à ces gens là, sont devenus déjà plus rebattus que les rocailles Louis XV ou les car-touches Renaissance.) Les matériaux employés hors de propos, les lignes déformées sans raison, les enchevêtrements de courbes abracadabrantes s’étalant partout à tort et à travers, voilà tout ce qu’ils ont tiré des idées simples et justes qui avaient été le point de départ de William Morris. Et le plus triste, c’est que le public achète celà; et non seulement il l’achète, mais, insuffisamment éclairé, il le confond avec les tentatives sérieuses et réfléchies, tant et si bien que si l’on n’y prend pas garde, et peut-être même malgré qu’on y aura pris garde, le goût des masses, toujours tenté par le clinquant et le bon marché, finira par préférer ces élucu-brations aux créations vraiment rationnelles, et replongera, pour combien de temps encore, l’éclosion de la beauté vraie aux gouffres du néant. Puisse-je me montrer mauvais prophète; niais il est lm fait indéniable pour ceux qui s’occu-pent effectivement et d’une façon sincère de la mise en pratique des idées modernes: c’est que le public ne s’est pas arraché au goût des styles anciens sous l’influence d’idées précises et raisonnées, mais par pur caprice, et simple-ment pour suivre la mode. S’il a cessé d’aller à reculons ou de piétiner sur place, s’il s’est