L’ART DÉCORATIF du progrès, est cette fois un préservatif contre les insanités qu’on voit surgir à droite et à gauche sous prétente de rénovation de l’art. D’ailleurs, la tâche n’est pas seulement de trouver ce qui n’existe pas encore, elle consiste d’abord à éliminer ce qui est de trop dans l’existant. Pour parler un langage concret, le goût, et même la raison, peuvent-ils approuver qu’on réunisse, qu’on entasse dans un même i nterieu r des éléments qui tous, sans exception, depuis les murs et le plafond jusqu’au dernier bibelot, disparaissent sous une formule décorative à peu près uni-forme, ne conservant ainsi plus de forme à eux, plus de caractère à eux, plus rien qui distingue essentiellement leur mode d’effet sur nous de celui de l’objet voisin? Qu’est-ce que les grands artistes inconnus, auteurs (les temples doriques dont je parlais tout-à-1′ heure, ces Grecs dont nous sommes fiers de réclamer la succes-sion penseraient de celà, s’ils pouvaient revenir pour un jour en ce monde? Les formules purement décoratives, quelles qu’elles soient, les bonites comme les mauvaises, engendrent vite la lassitude par leur répétition; répétition inévitable parceque les imaginations assez puissantes pour en créer de nouvelles n’appa-raissent que de loin en loin. Le chapiteau corinthien — je reprends cet exemple — est incontestablement une belle formule décorative; mais de le voir sur la façade de chaque édifice, de chaque maison, cent fois en un quart d’heure, on en a la nausée. Le chapiteau dorique, qui n’a pas de décor, ne fatigue pas ainsi. Vous pouvez vous promener indéfiniment entre deux colonnades de cet ordre sans que votre oeil s’en ennuie autrement. Il n’y a qu’une chose qui ne lasse jamais, c’est le simple, parceque le vrai n’est jamais que dans le simple. Dans peu d’années, les nouvelles formules décoratives paraîtront aussi fastidieuses que celles d’antan, si nous les pro-diguons à tort et à travers, si nous en affublons indistinctement toutes choses avec lesquelles elles n’ont aucun rapport. Le premier pas vers tut art domestique mo-derne doit être d’établir plus nettement le caractère de ceux des éléments de nos inté-rieurs qui sont d’ordre purement constructif; de les débarrasser des superfluités d’une soi-disant décoration à contre-sens, (l’en raffermir les formes émasculées par la trop tyrannique do-mination du style Louis XV. Les lignes de ce style sont d’origine orientale, dit-on: c’est-à-dire qu’elles représentent les instincts, et peut-être les nécessités matérielles de races bien différentes de la nôtre. Je ne vois pas du tout que le Louis XV soit, dans le passé, le style français par excellence, comme on le prétend souvent; 56 il m’apparaît au contraire comme une ex-ception presque inexplicable, une anomalie dans renchainement de nos styles qui tous, depuis Clovis presqu’à Napoléon, sauf cette seule ex-ception, ont toujours eu pour base la ligne droite. Dans le gothique aussi bien que dans le roman et dans le néo-romain, tout support est rectiligne. En tous cas, si l’on veut partir du Louis XV pour rechercher de nouvelles formes, il faut en régénérer les lignes par une transformation profonde; ce n’est qu’à cette condition qu’elles peuvent entrer dans la con-struction. Ici, bien qu’en commençant ces article, je ne me fusse point proposé d’entretener le lec-teur de personnalités, je ne peux n’empêcher de citer le nom d’un homme qui fait, selon moi, l’oeuvre artistique la plus nécessaire à la France en ce moment, parceque cette oeuvre répond exactement au programme que je viens d’exposer: celui de M. Ch. Plumet. De quelle que façon qu’on apprécie le degré du bonheur avec lequel il accomplit chaque point de cette tâche, il revient en tous cas à M. Plumet l’hon-neur — et ce n’en est pas un mince — d’orienter le premier le goût français vers l’avenir dans une voie de logique et de raison, en restant dans les traditions nationales. Dans un article précédent de cette revue, j’écrivais cette phrase: «Peu d’artistes ont de l’art domestique une conception si juste que MM. Plumet et Tony Selmersheim; la dose de décoration sculpturale et picturale convenant à un intérieur, et à chacun des objets qui le composent est réglée par eux avec la sûreté du chimiste pesant les ingrédients d’un mélange sur la balance de précision.,› Qu’on me permette de la répéter ici, parcequ’elle précise un des grands mérites de l’oeuvre de ces artistes, et fixe le point d’intérêt général sur lequel je voudrais appeler très par-ticulièrement l’attention. Quelle que soit la valeur — et elle est grande — des travaux des artistes qui se sont tournés depuis quelques années vers l’art déco-ratif, ces travaux resteront à l’état d’unités isolées et n’auront pas de résultat général aussi longtemps que les architectes n’auront pas établi chez nous — comme ils l’ont fait en Angleterre — le cadre dans lequel ces travaux doivent trouver leur juste et raisonnable place. Qu’on fasse des étoffes, des papiers peints, des meubles, des vitraux, des bronzes intéressants, parfait; mais avant tout, qu’on prépare le milieu dont ces belles choses ne sont que les accessoires; accessoires nécessaires, mais inutilisables en bonites conditions autrement. Notre architec-ture d’intérieurs a besoin d’être réformée autant que celle des façades.