NUMÉRO 14 NOVEMBRE 1899 I:ART DÉCORATIF DU COMPLIQUÉ AU SIMPLE Il me paraît difficile de ne pas convenir sans être anglomane pour celà — que l’Angle-terre garde jusqu’ici le rang qu’elle a pris depuis vingt ans à la tête des nations, au point de vue de l’introduction du goût dans la demeure et tout ce qui y entre. Je n’entends point par là que chaque objet, pris isolément, vaille toujours mieux en Angleterre qu’en France, en Allemagne ou ailleurs. Mais si c’est l’ensemble de la demeure qu’on considère, ou bien encore, si l’on fait dans chaque pays le dénombrement des maisons où l’on respire l’atmosphère dans laquelle un homme de goût se sent à l’aise, c’est au premier que revient la palme. Voici donc un peuple réputé longtemps in-férieur dans les arts et tout ce qui touche au goût, et qui, subitement, passe en tête et prend les autres à sa remorque. Le précise des apôtres qui se sont rencontrés dans son sein, des Ruskin, des Morris, suffit-il à rendre compte d’un phénomène si rare? Non, sans doute. Alors ? Alors, ce phénomène doit être le résultat de causes complexes. Lesquelles, je n’en sais rien et laisse à de plus savants le soin de les re-chercher, si cela les amuse. Pourtant, il m’en apparaît une, dont il peut être intéressant de dire un mot. CARNIEL A MILAN C’est le goût naturel des Anglais pour la simplicité. Comment ce trait de caractère les a servis en cette circonstance, je le sens plutôt que je ne pourrais l’expliquer. L’explication sortira d’ailleurs peut-être, en partie de ce qui suit. En tous cas, il est clair que la simplicité -préserve de beaucoup de fautes: où l’on ne met rien que le strict nécessaire, on peut ne pas faire montre de bots goût, mais on est certain de ne pas tomber dans le mauvais. C’est déjà une raison qui, pour être moins profonde qu’une page du troisième Faust, ne manque pas de valeur. En remontant l’histoire, ois voit la plus grande beauté coïncider constamment avec la plus grande simplicité. Citez les Grecs, l’har-monieuse majesté des temples doriques ne fut jamais égalée par les monuments d’ordre ionique ou corinthien. Au moyen-âge, le recueillement ressenti devant les cathédrales des douzième et treizième siècle se perd à mesure que le gothique approche du flamboyant. Partout, à mesure que l’ornement usurpe le rôle principal dans l’édifice, la beauté s’émiette, l’intérêt s’éloigne de la masse pour s’éparpiller sur les unités de détail, l’impression profonde née (le l’ensemble s’affaiblit et meurt. L’homme ému devant le simple fait place aux curiosités du connaisseur, derrière lequel on entrevoit va-guement la silhouette de l’amateur de bric à bru. 1,12T Dr.CORATIF. No. mm. 53