OCTOBRE 1899 -C.-=»»,- une matière molle et impersonnelle d’où il tira des tables et des buffets. Il y ajouta d’ingénieuses marqueteries et créa des œuvres sans unité et sans caractère, pleines d’ingéniosité, mais in-quiétantes en somme et vides. Nous avons vu des pieds de table qui étaient des corps de libellule et des petits bancs qui figuraient des crapauds. Pas une forme simple et nouvelle; ce fut une ornementation subtile parfois, souvent pénible et lourde, qui dissimulait mal la bana-lité des contours et le manque d’équilibre des plans. Il y aurait à ce propos une étude amusante à faire sur l’emploi anormal que les décorateurs ont fait de la flore et de la faune. Cette méconnaissance des qualités de la matière se remarque dans presque tous les essais décoratifs de ces derniers temps. Si nous passons du meuble au bibelot, nous voyons que les potiers ignorent totalement ce qu’est la terre dont ils façonnent les vases. Au lieu de la traiter par pénétration, de respecter sa solidité et sa brutalité, l’un la couvre d’un très léger vernis d’un vert pâle, qui ne fait pas corps avec elle, qui n’est qu’une couche superficielle et vaine. Les fameux «cordés» qui nous séduisent sur des grés sont dus au hasard; il est aisé de le vérifier; nul artiste ne sait les diriger, les arrêter où il le faut, l’on prépare le vase tant bien que mal, l’on cuit et l’on attend les sur-prises que réserve le feu. L’indigence des formes est pitoyable. Nous n’en sommes plus à l’amphore ni à la buire; ce poncif a été rem-placé par un autre; c’est partout l’imitation de l’art japonais; c’est la gourde sous tous ses aspects, ou le vase un peu défoncé devant lequel se récrient d’admiration les bons «snobs» et leurs compagnes. L’étain, matière grasse et lisse, sert à faire des plats aux arêtes coupantes, à l’aspect agressif. Un spécialiste emploie le verre pour faire des tulipes aux tiges cassées et ses fleurs ont des rigidités de zinc. Un autre s’applique à cette même matière et son premier soin est d’oublier que la qualité essentielle du verre est la transpa-rence; il en fait des récipients inspirés par des sonnets, mais brumeux et tristes; il ne craint pas de superposer plusieurs couches de verre ; il travaille à la roue leur épaisseur et ne s’aperçoit pas qu’il obtient ainsi des œuvres factices et en somme absurdes. Qu’importe ? Le public intelligent et averti pousse des cris d’admiration ! Toutes les femmes se ruent vers les vitrines d’un orfèvre que la grande tragédienne a mis à la mode et que célèbre un poète, critique d’art à ses heures et dont l’âme est demeurée indélébilement provinciale: il craint toujours de n’être pas à- la mode de Paris et d’émettre des opinions qui sentent son village; 3 cet état d’esprit le pousse à des admirations insensées et à des mépris ridicules. L’incohérence de cette orfèvrerie ne devait pas manquer de le séduire; c’était d’ailleurs un admirable thème à développements littéraires. Mais enfin il suffit de considérer ces bijoux un seul instant pour en comprendre la folie. Ils sont l’ceuvre d’un homme de génie; c’est entendu. Mais ne semble-t-il pas qu’un bijou doive, avant tout, être une caresse? N’est-il pas nécessaire qu’un bracelet s’enroule avec souplesse au bras d’une femme, qu’un collier serpente avec fluidité, qu’une broche ne griffe pas, qu’une bague soit légère au doigt frêle qui la porte? Eh bien! approchons-nous de ces vitrines si entourées et si admirées! Nous y voyons des combinaisons ingénieuses d’or de différentes couleurs et de métaux rares; nous y rencontrons des perles singulières et des pierreries intéressantes. Mais les bagues sont d’une lourdeur inattendue, les broches se hérissent comme des armes, les peignes sont des monuments compliqués, les bracelets semblent des instruments de supplice et le collier sinueux est remplacé par. la chaîne tendue d’un pen-dentif pesant, qui la tire impitoyablement, qui l’enfonce, qui l’incruste dans la délicatesse du cou. Je crois pouvoir prétendre que tous ces bijoux sont d’une étrange composition. Et partout, dans toutes les branches de l’art décoratif, nous retrouvons cette incohérence de la pensée et cette ignorance de la matière. Les architectes décorateurs ont créé des salles de restaurant; le plus connu d’entre eux semble avoir pris pour principe de juxtaposer les matières les plus opposées; le public est ébloui par l’aspect criard qu’il obtient et prend tout ce clinquant pour de la richesse, ce mauvais goût pour de la beauté; il convient d’ailleurs de noter que ces salles hurlantes contiennent toujours quelques détails heureux. Un autre, désireux d’arriver à l’hartnonie et au calme, n’use que de couleurs anémiées. Un troisième, ayant à décorer un restaurant de nuit, un établissement de fête et de joie, sème sur les chaises et les tapis des nénuphars; comme motif aérien d’un plafond lumineux, il choisit le melon. C’est toujours l’absence de logique et d’intelligence, qui d’ailleurs s’explique par le manque d’éducation première. Tous ces artistes sont des ignorants, il faut bien avoir le courage de le dire; ce sont aussi des pré-tentieux. Se fiant à leur génie, ils se refusent à apprendre et à chercher; ils improvisent et ils en imposent au public des «snobs», mais leurs œuvres ne vivront pas longtemps; elles passe-ront de mode comme les crinolines et les manches à gigot. FIND ART DOC