-a–%2D- L’ART DÉCORATIF pas plus nettement l’empreinte de leurs auteurs, pourquoi tous ces artistes, qui cherchent ou prétendent chercher, ne sont pas encore par-venus à construire une bonne chaise ou à établir une tenture satisfaisante. Je crois que cette infériorité tient à deux causes qui sont d’ailleurs étroitement liées entre elles : d’abord le «modern styler doit être ban marché; ensuite les artistes qui s’adonnent à ce style tentent de suppléer par l’improvisation à l’édu-cation professionnelle qui leur manque ; ils ne respectent pas la nature de la matière qu’ils travaillent et se préoccupent trop peu de la destination de l’objet fabriqué. * * * Le mobilier de style moderne nous frappe par la sécheresse des lignes et l’acuité des tons. Nous n’y trouverons pas d’équilibre savant ni des nuances recherchées. Tout décèle la rapi-dité de l’exécution : c’est qu’il faut produire à bon marché et rapidement. Les velours imprimés, les cretonnes aux larges dessins attestent ce souci de livrer l’article à bas prix. La fausse élégance des petites tables impitoyablement vertes et des étagères à pieds élevés, l’illusion des vernis imitant la laque nous montrent bien quel fut le point de départ des créateurs de ce style; ils ont voulu réaliser l’ameublement démocratique, fournir au peuple un mobilier rationnel et pas cher. Ils se préoccupaient donc assez peu de la beauté; ils étaient les dignes successeurs de ceux qui imaginèrent ce meuble essentiellement populaire et laid: l’armoire à glace. Il serait intéressant de savoir quel en fut l’inventeur; ce fut certainement un fin psycho-logue; il connaissait admi rablement l’âme vaniteuse et puérile des foules, celui qui offrit à la petite population des villes ce meuble extravagant et hideux, ce meuble qui semblait résumer l’élégance de la psyché, la solidité de l’armoire familiale et le confortable de la commode. Trois meubles en un seul I Tel fut le principe de ce créateur malfaisant et génial, et si j’insiste sur ce fait, c’est que le mobilier de style moderne semble conçu dans le même esprit. Nous y trouvons des lits qui sont des étagères, des buffets qui sont des bibliothèques, des lampes qui sont des casiers à musique. Partout c’est la préoccupation de remplacer deux ou trois meubles par un seul. C’est l’extravagance voulue et préméditée pour arriver au bon marché — et aussi pour étonner le public. Car il est plus aisé de l’enthousiasmer par le «bizarre« que d’offrir de la beauté à son admiration. La beauté .d’un meuble consiste essentielle-2 ment dans l’heureux choix des lignes, dans l’harmonieuse disposition des plans, dans l’amé-nagement pratique de l’intérieur, dans la solidité et dans l’équilibre de l’ensemble. Connaissez-vous un meuble de «modem style» qui réponde à ces conditions? Demandez quelques renseigne-ments aux tapissiers qui font le plus d’efforts pour acclimater en France ce style; le plus connu d’entre eux répète à qui veut l’entendre qu’il n’est jamais sûr en ouvrant le tiroir d’un meuble moderne que tout ne va pas se décoller. Il vous dira l’histoire des secrétaires qui tombent tout à coup en morceaux et des tables qui chancellent et s’écroulent. Tous ces meubles ne sont pas construits, parce que la loi du bon marché presse tout le monde. Pour reproduire des mobiliers anciens, l’on possède des mesures, des propor-tions, l’on tonnait la structure intime; il n’est pas besoin de recherches ni d’études. Pour créer, au contraire, il faudrait une longue préparation ; qui donc ale temps de s’y soumettre? Où est l’amateur qui dirait à quelques hommes intelligents: «Faites-moi une chambre à coucher; ne vous pressez pas de me la livrer; méditez; composez ; ne craignez pas de faire des essais; je conçois qu’une période d’apprentissage et de tâtonnements vous est nécessaire». Un pareil homme nous semblerait extraordinaire; il fut un temps cependant où des artistes passaient des mois et des années à ciseler un coffret ou à parfaire une table. Mais cette époque est passée; l’on se rue aujourd’hui vers les magasins; l’on choisit dans le stock des marchandises et l’on paie; un intérieur ne répond que rarement à la personna-lité de celui qui l’habite; rien de ce qui s’y trouve n’a été fait pour lui. Ces conditions réduisent les ouvriers à la banalité; l’on ne demande plus à une oeuvre de plaire à quelqu’un; il faut qu’elle ne choque personne. * * * Telle est la doctrine imposée aux ouvriers; ce fut alors que les «artistes», — peintres, sculp-teurs et même architectes —, s’avhèrent de relever la décoration; comme les ouvriers faisaient des oeuvres banales, ils s’efforcèrent de créer du «bizarre»; ils y parvinrent facilement et natu-rellement. Dans leur ignorance absolue, ils voulurent faire rendre aux différentes matières ce qu’elles étaient incapables d’exprimer. L’un créa des sièges où le bois était traité comme de la terreglaise, et cefurent d’extraordinairesagenouille-ments de femmes sur la tête desquelles l’on s’asseyait. Un autre, — doué d’ailleurs d’un grand talent — nuança artificiellement le bois, le maquilla de couleurs tendres et obtint ainsi FIND ART DOC