REFLEXIONS L’art décoratif renait. C’est une vérité que nous devons accepter et que proclament tous les critiques autorisés. Ils ont patiemment étudié et suivi ce mouvement de rénovation ; ils en exposent, avec une assurance naïve, les causes et les origines. Ils ont constaté que l’impulsion est venue d’Angleterre et ils en concluent qu’il était nécessaire qu’il en fût ainsi; ils en ont pour preuves les conditions morales de ce pays, l’existence familiale de ses habitants, les qualités particulières de l’âme protestante. Ils nous dévoilent les liens étroits et profonds qui unissent à l’Angleterre la Belgique et l’Allemagne; ils n’ont pas de peine à découvrir pourquoi Bruxelles et Berlin accueillirent avec tant de faveur cette nouvelle forme d’art, tandis Mie Paris montrait moins d’enthousiasme: ils aperçoivent, dans ce fait, la perpétuelle opposition de l’âme protestante et de l’âme latine. Cette argumentation historique, philosophique et sociale doit suffire à convaincre les plus sceptiques : l’art décoratif renaît. Visitez d’ailleurs une exposition d’art, la plus petite, la moins importante ; entrez à la Bodi-Mère ou rue Laffite chez un protecteur des jeunes: vous trouverez toujours des vitrines enfermant de précieuses serrures, des baromètres ingénieux ou des poteries défoncées. L’art décoratif renaît. Avez-vous soif.? Tentez de vous désaltérer en une brasserie; entrez sans peur et vous sentirez aussitôt tomber sur vous le froid des céramiques tandis que l’effort tourmenté des lustres menacera votre tête. Voulez-vous acheter une cravate ? Cette boutique vous offre le cadre rigide de ses lys et vous pourrez vous mirer en ses glaces aux courbes hardies. L’art décoratif renaît. * * Donc, plus d’imitation servile! Nous ne subirons plus les mauvaises copies des buffets L’ART DÉCORATIF. No. 13. B. PAUL Henry II, des commodes Louis XVI et des canapés du premier Empire. Nos artistes se sont libérés de l’influence des morts. Ils ont décidé qu’ils seront personnels et qu’ils feront des oeuvres qui répondent aux besoins de leurs contemperains. Un nouveau style va naître ; tout le monde nous le promet ; il est encore à l’état d’enfance et difficile à définir; c’est pourquoi il a aussitôt reçu un nom: il s’intitule le «modern style». Cette appellation n’évoque encore à notre esprit que des essais, des ébauches, l’ombre de ce qui sera demain. Elle donne l’illusion d’une réalité. Voici quelques années seulement que ces tâtonnements ont commencé et nous devons faire un long crédit à tcfus ces hommes qui s’efforcent de créer, examiner leurs tentatives avec bienveillance, ne pas douter surtout de leur sincérité. Mais une remarque s’impose ; c’est que ce style qui n’est pas encore est déjà devenu banal et poncif. Tous ces esprits, sou-cieux avant tout d’originalité et qui s’in-dignaient à l’idée de reproduire les oeuvres des ancêtres, ont entre eux une rare parenté: les essais décoratifs de X rappellent d’une façon criante ceux de Y et un phénoméne curieux se produit : l’on comprend bien que les deux artistes se sont inspirés de l’art japonais, mais il est impossible de savoir lequel a plagié l’autre, tant leurs créations attestent d’impersonnalité. Ce sont toujours les mêmes courbes factices destinées uniquement à arrondir des angles, les sinuosités molles, les ellipses incertaines ; le modern styles semble caractérisé jusqu’à présent par l’inconsistance des lignes ; je sais un amateur qui affirme que c’est le style des «nouilles». Il y a là quelque exagération : toutes les boutades sont un peu injustes. Du moins cet excellent homme marquait bien ainsi ce qu’il y a de flottant, de vague; de visqueux dans notre nouvel art décoratif. Il serait intéressant de comprendre pourquoi ces essais ne portent FIND ART DOCK