AOÛT l’industrie — elle saura bien se défendre seule —mais parcequ’en art comme ailleurs, il y a des préjugés qu’il vaut mieux ne pas aider à pro-pager. Au moment oh l’industrie tente visible-ment un effort pour faire mieux qu’avant, il n’est pas adroit de l’en décourager en lui redi-sant sans cesse qu’elle n’arrivera pas; d’un autre côté, le snobisme est pour une foule de gens un si puissant mobile, qu’en leur persuadant que la machine ne peut rien faire de bon, on n’aboutirait qu’à rendre difficile la vente des objets les mieux faits, s’ils ne le sont à la main. Deux facteurs concourant à l’indéfini prolongement du laid obligatoire . . . . et pas gratuit. Ce n’est pas là notre intérêt. G. St. JACQUES. LA GRANDE DÉCORATION AU SALON DE 1899 Depuis que Puvis de Chavannes a véritable-ment créé la fresque moderne, depuis qu’il a suscité tant de visions harmonieuses et belles, beaucoup de nos artistes ont été tentés par les grandes décorations. Elles étaient moins nom-breuses pourtant à ce Salon que l’an passé, comme si, le maître disparu, les disciples n’eussent plus osé exposer. rf L’un de ceux que Puvis de Chavannes se plai-sait souvent à encourager et à diriger, M. J. Francis Auburtin, se présentait à nous avec une grande toile d’une saveur toute particulière: La Pêche au Bangui dans le golfe de Marseille. Il avait exposé au Salon de 1898 une décoration très hardie pour l’amphithéâtre de zoologie de la Sorbonne, oeuvre hérissée de difficultés tech-niques, où le peintre s’était attaqué à la tâche ardue de représenter le fond de la mer, et où il avait figuré, avec une rare justesse, toute la faune et la flore de la Méditerranée vues datas la transparence des vagues. M. Auburtin n’a donc pas quitté son sujet favori, sujet auquel il était préparé par de nombreux séjours sur les côtes du midi; il est resté le peintre de la Mé-diterranée, porté cette fois-ci par des motifs plus plastiques et plus décoratifs. Sur un horizon fermé par les collines claires du golfe de Marseille, une barque de pêche se soulève au premier plan du tableau, secouée par un vigoureux coup de roulis. Tandis qu’à l’avant un mousse serre la voile, trois pécheurs solidement canapés tirent à eux le grand filet dans un éclabotissement des vagues. Plus au loin une autre barque file sous le vent toutes voiles dehors; sur tout cela le ciel méditerra-néen, un vrai ciel de mistral, met sa clarté au 1899 -c-bleu fluide, légèrement métallique, et nota pas écrasé ainsi que semble le voir M. Montenard. L’oeuvre est traitée dans un sens de large déco-ration; assurément, en l’examinant de près, on pourra être surpris par certaines hardiesses de touche; mais n’oublions pas qu’elle est faite pour être vue dans son ensemble à une certaine distance. L’effet général en est alors décisif, à cause de l’unité de la composition, et du souci de faire concorder tous les détails au seul en-semble. M. Albert Besnard reste bien toujours l’artiste auquel nul tour de force ne saurait être impos-sible; le voilà aujourd’hui qui escalade le ciel et qui fait entrer dans le décor d’un plafond tout l’illimité et tout l’infini. Au delà et au-dessus de grandes branches de pin d’une silhouette si harmonieuse, des femmes volent à travers l’es-pace, essayant de saisir les étoiles en un enrou-lement de robes légères qui les enveloppent comme des nuées. Cette grande décoration, M. Besnard l’a surnommée les Idées, délicat et éternel symbole de l’idéal impossible à atteindre. Si le plafond de M. Besnard n’a peut-être pas toute la fluidité, l’apparence cristalline qu’on aurait pu y chercher, s’il n’a pas ces violences de lumière que Turner met dans ses ciels en fusion, on y trouvera néanmoins bien des détails délicieux. sPour comprendre et apprécier ce chef-d’oeuvre autant qu’il le mérite, me disait un peintre, il faut connaître à fond l’art japo-nais.s Ceci me paraît surtout exact dans le des-sin des apparitions qui volent à travers l’espace. Seul un artiste japonais serait arrivé à cette souplesse, à la courbe harmonieuse de ces corps, à ce geste que nul autre ne saurait fixer. M. Bes-nard excelle à nous donner la sensation de l’es-pace et du mouvement, à nous enchanter par l’harmonie de ses lignes. M. Anquetin, sur le talent duquel beaucoup fondaient de grandes espérances, nous a pro-fondément déçus avec sa grande toile : Bataille. M. Anquetin semble avoir refoulé bien au fond de lui-même ses qualités réelles pour s’aban-donner à tous les défauts qu’il prend pour du génie. Qu’il ne m’accuse pas de parti-pris; personne n’hésite plus que moi à condamner aveuglément une conception d’art qui n’est pas la mienne. Mais l’ceuvre que M. Ariquetin nous parait d’un bout à l’autre si prétentieuse de compo-sifion, si fausse de coloris, et si dénuée de per-sonnalité (malgré les apparences) qu’il faut bien une fois pour toutes se prononcer sur le cas de cet artiste. J’ai parlé d’absence de personnalité et je m’ex-plique : l’an pasé M. Anquetin, dans une oeuvre meilleure que celle-ci, avait, non sans charme, pas-tiché Michel-Ange, cette année le voilà qui 189 FIND ART DOC