N° XI L’ART DÉCORATIF UTOPIE? Un critique d’art qu’on tient en haute estime écrivait dernièrement ce qui suit dans un article d’ailleurs excellemment pensé à plus d’un point de vue: «Quant à l’utopie qui consiste à croire que la machinerie peut amener un progrès en art, utopie dans laquelle coupent généralement, ou semblent couper les fonctionnaires, hommes politiques et autres démocrates, nous la laisserons de côté. D’ailleurs, si les industries mécaniques peuvent répandre quelques bonnes formules, et encore en leur retirant toujours la fleur de la achose faite à la main», elles contribuent à en répandre un nombre non moins égal de mau-vaises, et nous ne voulons nous occuper ici que d’invention, non de vulgarisation.» A différentes reprises, je me suis occupé dans cette revue du rôle que l’industrie doit jouer dans la diffusion de l’art, et je ne pense pas, comme M. Arséne Alexandre, qu’on puisse, à l’heure qu’il est, se désintéresser de celle-ci. Que M. Arséne Alexandre me permette donc de discuter les lignes qui viennent de d’être reproduites. Débarrassons d’abord la question de la politique et du démocratisme. En réclamant plus d’art autour de nous, et de l’art pour tout le monde, ceux qui parlent de bonne foi ne font pas acte de socialisme, même de philanthropie. Ils travaillent pour eux-mêmes. Quand il nous faut quelque objet, grand on petit, nous sommes écoeurés de ceux que le commerce nous offre; néanmoins, il faut bon gré mal gré en passer par ceux-ci, puisqu’il n’y en a point d’autres et L’ART DÉCORATIF. No. Il. GEORGE GRELLET AOÛT 1899 que l’argent même n’y peut rien. Eh bien, c’est cet état de choses dont patissent tous les gens de goût, M. Arsène Alexandre le premier, qu’on veut tâcher de transformer. Il s’agit d’arriver â en avoir pour son argent quand on fait une dépense; à s’éviter l’ennui de ne se voir offrir, ayant besoin d’un encrier, que des »trucs« ressemblant à tout ce qu’on voudra, excepté à un encrier. C’est aussi simple que celà. Là-dessus, rien n’empêche de constater que puisque tout doit plier fatalement, qu’on le veuille ou non, sous la loi du mouvement social moderne, qui est l’accession de couches toujours plus profondes aux jouissances de la vie, il est impossible que la participation de l’art à l’existence garde son caractère actuel d’exceptionnalité; que cette participation s’établira fatalement dans d’autres conditions et se servira d’autres agents que dans le passé. Cette constatation n’a nullement le caractère d’une profession de foi socialiste, elle n’implique l’abandon d’aucune liberté pour personne; elle signifie simplement qu’on accepte de bonne grâce l’inévitable, et comporte l’étude des conditions nouvelles dans lesquelles peut s’établir l’association de l’art à la vie. C’est d’ailleurs à tort qu’on penserait que ces condi- tions nouvelles doivent entraîner pour l’art une déchéance: leur recherche aura résultat, au contraire, de montrer qu’au point de vue même purement spéculatif, l’art dit appliqué d’aujourd’hui fait fausse route en plus d’un point, et de le faire revenir d’erreurs entre lesquelles il se débat aujourd’hui. En écrivant les mots «l’utopie qui consiste à croire que la machinerie peut amener un 185 24 FIND ART DOC