L’ART DÉCORATIF au milieu, la gaîté, la mélancolie, le recueillement, la sensualité, etc., en choisissant tels moyens qu’il croira propres à le faire. Il en est autrement des objets placés dans le milieu. Ici, on est esclave non-seulement de la fonction, mais du rôledes objets, qui sont avant tout des oeuvres de menuiserie, ou de fonte, ou de forge, ou de chaudronnerie, ou de quelqu’autre métier et ne peuvent être transformés en oeuvre d’art (au sens vulgaire du mot) sans être dénaturés. D’ailleurs, chacun joue un rôle actif présent à notre esprit chaque fois que nos yeux tombent sur lui; nous lui attribuons une place nettement dé-terminée dans nos actes, notre vie, et cette attribution emporte par elle-même un sentiment qu’il n’est ni nécessaire, ni même séant de vouloir souligner. Qu’est-ce qu’une figure sym-bolisant le silence peut ajouter au sentiment de bien-être, de douceur du repos, qu’éveille en nous un lit même simple, dès que son aspect invite à s’y reposer? Si la figure est remplacée par un décor floral, c’est pire ; le sentiment que doit éveiller le lit est troublé par la présence de ce malencontreux accessoire. Les objets ne doivent donc que traduire fidèlement leur fonc-tion par les matières, le travail et les formes, et l’action de l’artiste se borne à l’harmonisation et à l’affinement de ces éléments matériels. L’expression naît d’elle-même de cette bonne traduction de la fonction. Poussant l’examen plus loin, on apercevrait, me paraît-il, que les objets se subdivisent à leur tour en deux classes. Il y a ceux qui répon-dent à un but strictement défini et ceux qui ne relèvent plutôt que du caprice. Quelle assimilation établir entre un lit et un bijou, par exemple? Ici encore, les sentiments éveillés par chacun des deux objets sont d’ordre distinct. Distincte aussi doit-être la conception de l’art dans le premier et de l’art dans le second; il va de soi que celui-ci ouvre à la fantaisie une porte plus large que celui-là. Tel n’est pas le cas de notre art décoratif actuel, dans lequel le meuble, le mur auquel il s’adosse, et le bijou sont décorés par les mêmes moyens, par les mêmes figurations. Ces réflexions, si l’on veut bien leur prêter quelque importance, font apparaître que l’inter-vention de la sculpture et de la peinture dans les objets qui nous entourent dépasse, dans les idées actuelles, la sphère naturelle de ces arts. Dans un très-grand nombre de cas, les figu-rations soit naturelles, soit stylisées, qui forment encore la base de la décoration non-seulement n’ont aucune raison d’être, mais vont directe-ment à l’encontre de leur but. La diffusion du beau dans les objets qui nous entourent doit avoir pour première phase l’abandon de cette erreur ; et pour commencer, l’on devrait renoncer au terme d’«art appliqué», qui n’est propre qu’à tromper les simples sur le vrai sens du mot art, en entretenant l’idée fausse que mettre l’art dans les choses veut nécessairement dire y introduire la sculpture ou la peinture. Quand on s’exprimera dans des termes impli-quant que ces arts n’ont que faire dans la beauté d’un grand nombre des objets usuels, un pas sérieux sera fait. Après avoir disséqué le premier mot du programme de la compagnie artistique de «Part dans tout», on peut se demander si le second ne parlons pas de la préposition dans —ne cache pas aussi quelques points sur lesquels il serait bon de s’entendre. Est-il désirable que les artistes s’appliquent à mettre directement l’art dans tout, ou n’existe-t-il pas des domaines dans lesquels il vaut mieux le laisser entrer tout seul, à la longue, par le seul fait de la culture artistique allant s’élevant chez tout le monde? Je ne répondrai que par une anecdote. Un artiste fort épris d’art moderne, esprit actif et hardi, très-ouvert bien qu’un peu absolu, vint nous trouver il y a quelques mois. Il avait une idée. «Faites donc, nous dit-il, un numéro sur la toilette de la femme. Adressez-vous aux artistes de votre entourage, invitez-les à dessiner des costumes, des manteaux, des chapeaux, des étoffes. Toutes les femmes se disputeront ce papier! Vous tirerez à cinquante mille, il n’y en aura pas assez pour tout le monde!» On lui représenta que pour s’habiller, les femmes se moquent bien de l’art nouveau, — qu’une ouvrière en sait souvent plus sur ce chapitre que tous les artistes de France et de Navarre ensemble, — que si beaucoup de femmes se mettent mal, celles-là se mettraient encore plus mal quand on leur offrirait d’autres moyens de prouver qu’elles sont dépourvues de goût, — que celles qui en ont savent ce qu’il faut prendre et laisser de la mode, et trouvent toujours le secret d’être exquises à travers ses erreurs, — que l’art dans la toilette, c’est de savoir se faire valoir quand on est bien, atténuer ses défauts quand on ne l’est pas, et que la femme n’a pas besoin de nos leçons pour celà, — qu’en eût-elle même besoin, ce n’est point l’affaire des artistes, puisque ce qui met le mieux en relief la beauté de la femme, ce sont les étoffes unies et les coupes simples, ne distrayant point l’attention du principal au profit de l’ac-cessoire, — que les Parisiennes sont d’accord en celà avec les Athéniennes, et que les toi-lettes «art nouveau» n’auraient pour clientèle qu’une demi-douzaine d’Américaines délirantes ; 144 FIND ART DOC