COURRIER DE BELGIQUE Albert Servaes et l’Art religieux. (2ael artiste n’a dé-ploré l’indigence ou la laideur des images de dévotion ? Par elles s’est peu à peu répandu dans la foule le goût d’une piété douceâtre et routi-nière. L’âme est absente de cette bon-dieuserie misérable dont Huysmans s’in-digne et où l’incroyant voit un symp-tôme de la décadence qu’il souhaite. L’art souffre de la crise, puisque les maîtres se détournent des sources éternelles de l’inspiration ; mais l’esprit des chrétiens souffre davantage encore, puisque le mauvais goût parait s’identifier à la fer-veur et que (les thèmes sublimes servent de prétextes à d’inconscientes carica-tures, camelote grossière, sans émotion, sans vie. Nos églises belges, riches des souvenirs d’un passé merveilleux, ont eu à subir les outrages d’une invasion néfaste. L’art créateur fut banni (le la maison divine au nom de je ne sais quel pseudo-tradi• tionalisme et l’on vit s’éta-blir, à l’initiative d’une corporation (le pédants et d’archéologues, le règne de la froide copie et (lu labo-rieux pastiche Le sens es-thétique naturel des prê-tres et des fidèles en fut totalement faussé Si l’Évangile inspirait encore à quelque artiste une oeuvre sincère et belle, l’Église fei-gnait le plus souvent (le ne pas s’en apercevoir. Il (levait être donne à Albert Servaes de réinstal-ler la beauté clans le sanc-tuaire et de forcer la ter-rible consigne grâce à l’in-telligente complicité (les R. P. Carmes du couvent de Vieux-Dion-lez-Anvers. Depuis une dizaine d’an-nées et malgré l’opposition d’un public gêné dans ses habitudes, Servaes poursui-vait son oeuvre de peintre chrétien. Vivant au beau village (le Laethent-Saint-Martin, non loin de Gand sa ville natale, il s’était mis courageusement à l’école de la nature. Mais fixer l’impression fugi-tive d’une belle journée de moisson ou de neige, le geste d’un faucheur, le rayon-nement d’un ciel en feu, cela ne pouvait suffire au familier des écrivains mys-tiques. Nourri de la moelle et du miel (les grands livres chrétiens, Servaes por-tait clans son coeur l’oeuvre qui peu à peu se précisait, se dépouillait, se cons-truisait, logique et expressive. L’abou-tissement devait être l’union de la ma-tière et de l’esprit dans une nouvelle interprétation des drames de la foi. On devine avec quel empressement l’artiste accepta la commande d’un Che-min de la Croix à exécuter pour une cha-pelle de Cannes. Il s’y prépara en Mus. train de fusains admirables la Passion de Notre-Seigneur jésus-Christ du poète flamand Cyril Vershaeve, traduite en fran-çais par M. Louis Gillet. Quant aux qua-torze stations du Chemin de la Croix, elles constituent à nos yeux la .plus compjète la plus impressionnante évocation de la tragédie du Calvaire. Servaes rejoint la ferveur du moyen âge et reste l’interprète des angoisses contem-poraines. Chargé (le tous les péchés du monde, son Homme de douleurs est véri-tablement l’Homme-Dieu. Et le:péintre a puisé dans un réalisme cruel mais non pas terre à terre, les éléments d’une oeuvre idéale, véridique et inspirée. Il ne nous appartient pas d’en esquisser ici le commentaire. Signalons seulement que le Chemin de la Croix vient d’être inauguré à Vieux-Dieu-lez-Anvers dans une chapelle ne simple mais bien com-prise et recueillie, due à l’architecte Augustin Desmet. Au-dessus du maltre-autel, un grand tableau de Servaes, la Mort de sainte Thérèse, unit à de profon-des qualités d’émotion et de foi, un sens admirable du rythme et de la construc-tion monumentale. Le calme grave de deux moines agenouillés s’oppose à la gloire tranquille et rayonnante d’une vision céleste ; celle-ci se développe dans les zones supérieures du tableau comme à l’arcade d’une mosaïque absidale, tan-dis que la sainte, dont le visage se transfigure à la venue du Christ triomphant, passe doucement de l’ombre à la lumière. Il y a longtemps que la religion n’a inspiré pa-reil chef-d’oeuvre. Gageons que dans un siècle les artistes iront en pèlerinage au cou-vent de Vieux-Dieu comme aux chapelles du Vésinet que décora Maurice Denis. Aujourd’hui, si Servaes connaît des succès véri-tables, les avanies ne lui sont pas épargnées et son oeuvre devient l’occasion d’ardentes polémiques. C’est un signe de puissance et de vitalité. Tout le bruit qui peut se faire à ce propos dans les milieux ecclésias-tiques contribue à ramener l’attention des pasteurs et des ouailles sur le grave pro-blème de l’art religieux. Ce problème — la preuve en est faite — sera résolu de la manière la plus simple, le jour où, pour ce qui touche à l’art, on consentira à s’en remettre aux artistes. ALBERT SItR’AES. PRENIIÈRE CHUTE DE J1k.SUS. FIND ART DOC