LA RENAISSANCE DE L’ART ISAN(,.11:- ET DES INDUSTRIES DE LUXE de peindre une chapelle concurremment avec Baldo-vinetti et Domenico Veneziano. Celui-ci était venu de Venise à Florence, afin d’y exploiter le procédé de la peinture à l’huile que venait de lui enseigner Antonello. Voilà une supériorité conférée par le secret, qu’Andrea ne peut supporter. Il con-çoit une haine farouche pour Veneziano. Il dis-simule pourtant. Il se fait le courtisan, le com-plaisant, l’intermédiaire même dans les amours de son confrère et com-pagnon. Tant et si bien que Veneziano lui livre son secret, et un soir qu’il sort de Nuova pour se rendre chez sa maîtresse, Castagno l’as-somme au tournant. Puis Andrea court chez lui, se met à dessiner, et, lorsqu’on vient lui apprendre le crime, il pleure toutes les larmes du désespoir. Ce ne fut qu’à son lit de mort, en 1457, qu’il avoua. Voilà ce que dit Va-sari. Vasari, c’est comme Burckhardt, on s’en sert beaucoup et on le chipote encore plus. Comment, dit-on, Anto-nello aurait-il pu ap-prendre la peinture à l’huile à Veneziano qui habitait Florence bien avant 1445, année du voyage d’Antonello à Venise ? Mais Veneziano a pu se rendre à Venise pour un mois ou deux, en 1446 ou 1447. D’ailleurs, cette date, 1445, n’est pas absolument certaine, et quant à « l’invention), de l’huile on n’est pas d’accord en tous points. —Comment, dit-on, peut-on affirmer « l’huile n de Vene-ziano dont la seule peinture authentique est à la dé-trempe ? Mais les autres sont perdues ; l’huile est fra-gile, surtout mal maniée (voir Leonard) comme il était naturel, à ses débuts. — Pourquoi, dit-on, Castagno ne s’est-il jamais servi du secret après la mort de Vene-ziano ? Il craignit qu’on le soupçonnât d’avoir tué pour voler. — Comment, dit-on, Castagno aurait-il tué Veneziano qui est mort trois ans après lui ? Il a raté son coup. Il l’a laissé étourdi sur la place, et cela 505 explique qu’il n’ait jamais osé peindre à l’huile après l’attentat. Il y a, on le sait, réponse à tout. Au surplus, rien ne va mieux que l’assassinat à cette peinture. Il suffit de voir les fresques exposées au Cenacolo di Sant’ Apol-lonia, à Florence, et bientôt les évangélistes de San Zaccaria, pour en être convaincu. Celui qui trouva les fresques du Cenacolo dans la ville Pandolfini dont elles couvraient les murs, celui-là faillit avoir peur, et on le con-çoit. Jamais la fureur sauvage n’a atteint une telle intensité d’expres-sion. Ce Dante arrive tout droit de l’enfer, ce Pétrarque vient d’en-terrer Laure, quant à Boccace, Fiammetta le trompe certainement avec un lazzarone. Si jamais peintre s’est mis lui-même, et avec son modèle, dans ses oeuvres, c’est Andrea qui traîna quarante ans la neuras-thénie la plus aiguë. On devine l’effet que dut produire sur les inno-cents jeunes Vénitiens un tel peintre et une telle peinture. Casta-gno, à Venise, en 1442, c’est certainement l’influence florentine, violente et décisive. Mais, en revanche, quel trouble dans nos habitudes ! Squarcione réduit son rôle à celui d’un petit professeur de dessin. Mantegna doit tout à Florence et à Venise et rien à Padoue. Une autre grande victime encore : Andrea, élève de Masaccio, était le camarade d’école de Filippo Lippi, le joyeux drille, moine défroqué et toujours en campagne d’amour, et le contemporain de Fra Angelico l’âme la plus suave et la plus candide qui soit jamais monté au ciel des peintres, tous trois vivaient dans Florence, la Florence du vieux Cosme où florissaient leurs confrères, leurs amis Brunnellesco, Ghiberti, Donatello, pour ne citer que ceux-là — une autre grande victime : la théorie du milieu… ANDRÉ MAUREL. 4 FIND ART DOC