LA RENAISSANCE DE L’ART Laurana semble avoir débuté entre 1461 et 1466 à la cour du roi René, grand amateur d’art et protecteur des artistes. Il vint en France une seconde fois, en 1473, une troisième fois, de 1477 à 1483. Il séjourna à Marseille où il épousa la fille du peintre napolitain Gentile. Il y sculpta le Tabernacle de Saint-Lazare, daté de 1781, que l’on voit encore dans l’église de la Major, l’ancienne cathé-drale. Dans cet important monument, exécuté avec la collaboration d’un de ses compatriotes, Tomaso Malviti de Coma, on admire la sveltesse de l’archi-tecture des deux arcades, les charmants bas-reliefs, la délicatesse des rinceaux d’ornements qui courent sur la façade, les pilastres et les colonnes. Parmi les statues, dont quelques-unes sont mal-heureusement un peu mutilées, celle de sainte Marthe est remarquable. Laurana fit aussi, à Avignon, un important relief en marbre, représentant un Portement de Croix et qui sert de dessus d’autel dans l’église Saint-Didier. Ces deux ouvrages de Marseille et d’Avignon sont connus et même célèbres ; il n’en est pas de même du mausolée de Tarascon. Le personnage à la mémoire duquel il fut élevé, Jean de Cossa, embrassa de bonne heure le parti des Angevins. Dès 1438, il se trouvait au service du roi René ; ayant suivi le prince dans ses diverses pérégrinations, il fut nommé en 146o grand sénéchal du royaume de Sicile et, plus tard, grand sénéchal de la Pro-vence. Cossa et Laurana eurent des exis-tences parallèles ; tous deux quittèrent le royaume de Naples pour s’attacher à la fortune du roi ; tous deux ont vécu en Provence. Le tombeau date, sans doute, de 1473, c’est-à-dire qu’il est de quelques années antérieur au monument de Marseille. La statue tombale en marbre, qui me-sure 3 m. zo de large sur t mètre de profondeur, représente le chevalier étendu sur un socle ; sa tête nue (le nez est mutilé) repose sur un coussin ; les mains sont jointes. A ses pieds est couché un chien. L’inscription révèle que la pierre recouvre les cendres de Messire Jean Cassa, comte de Troja dans le royaume de Naples. L’architecture du monument est fort simple ; elle consiste, au fond, en un panneau de marbre orné de chaque côté de deux génies pleurant et encadré de plusieurs séries de pilastres et de frises ornées de délicats rinceaux. Une noble figure debout, peut-être la Foi, placée dans une niche, fait face à la statue cou-chée. L’ensemble s’inscrit dans une belle grille (le fer forgé dont la robuste sim-plicité convient à merveille à l’austérité du lieu et à la personnalité du guerrier. Il n’est pas difficile de reconnaltre, dans cette oeuvre, la collaboration de Tomaso Malviti ; on retrouve dans les deux génies nus et dans certains bas-reliefs de la paroi du fond, la même main que dans le monument de Marseille. La manière de Malviti se caractérise, en effet, par une profusion de détails parfois un peu excessive et quelque sécheresse dans l’exécution des ornements. Dans le vieux château du roi René, à Tarascon, construction féodale qui a subi. FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE 495 à maintes reprises, les injures du temps et des révolutions et qui est aujourd’hui défigurée par son affectation au service de l’armée, il existe encore une élégante niche de marbre sculpté que l’on peut attribuer avec certitude à Laurana et qui date de la fin du règne du roi René, c’est-à-dire des environs de 1480. Enfin, c’est une surprise de découvrir, dans la bibliothèque municipale de Ta-rascon, les vestiges de deux bustes qui sont aussi des oeuvres certaines du sculp-teur italien. Malgré l’état déplorable dans lequel ils se trouvent on peut, tou-tefois, supposer que l’un d’eux devait représenter Jeanne de Laval. Ces deux bustes ornaient, avant la Révolution, la salle d’honneur du Château. Les Arlé-siens révolutionnaires les brisèrent et en jetèrent les morceaux dans un puits d’où on ne les retira qu’au début du xixe siècle. On ignore, en général, que plusieurs de nos musées de province con-servent aussi des oeuvres de Laurana ; il existe, en particulier, en dehors de celui qui vient d’être découvert par M. Venturi au musée d’Aix, trois admi-rables masques en marbre, de la série qu’on peut appeler des masques de Béa-trice d’Aragon, aux musées de Bourges. de Chambéry et du Puy-en-Velay. Le péril de Bayonne. Bayonne est une des plus séduisantes petites villes qui soient en France, avec ses vieilles maisons louis-quatorziennes, sa belle cathédrale, son port si vivant, et ses superbes remparts qui forment un noble premier plan verdoyant au décor bleuâtre des montagnes. Or, ces remparts sont menacés de destruction par une ad-ministration aussi peu soucieuse d:esthé-tique locale qu’oublieuse des grands sou-venirs. Ils sont pourtant les témoins de beaucoup d’histoire, quand les rois et les ambassadeurs faisaient halte dans la ville-frontière, entre Madrid et Paris ou les Pays-Bas. On y voit encore, gravés dans les écussons, les lis de France : mais les aigles y furent aussi, jadis. Aujour-d’hui, ces vieux remparts couverts d’ar-bres et de gazon, constituent une prome-nade magnifique, contournant la cathé-drale. les vieux logis et d’antiques jardins en terrasses ; leurs habitués sont, main-tenant, des enfants, des Saciétés de sport, des artistes et pas un touriste ne passe-rait à Bayonne sans faire cette admirable promenade. Déjà ont disparu sous la pioche du démolisseur la Porte de France et le Réduit. Va-t-on maintenant abattre la Porte d’Espagne sous laquelle défilèrent la garde et les grognards de l’Empire ? —Que les fanatiques amateurs de la vie moderne, que les utilitaires prennent garde : les touristes apportent aux belles vieilles villes autant d’argent, peut-être, que les créateurs d’usines. Qu’arriverait-il si la grève — nous parlons de celle des voyageurs — se faisait sentir dans les cités qui laissent si bien tomber tous leurs joyaux, peu à peu, qu’un jour elles se réveilleront nues, enfumées, dans le froid décor de leurs nouvelles laideurs et de leurs fumées ? Autre péril pour Bayonne : le sort de son Musée. Nous en avons parlé assez longuement ici même, il y a un an, et nous disions les soins et la générosité in-lassables de M. Léon Bonnat pour les admirables collections qu’il y a accumu-lées. Mais voici qu’on s’aperçoit de l’hu-midité menaçante, qui provient de la rivière voisine… Ce n’était pas autrement grave pour les peintures ou les statues de la collection municipale ; mais on frémit à l’idée de voir compromis les des-sins de Rembrandt, de Léonard de Vinci, d’Ingres. etc., etc., de la collection Bon-nat. Le transfert du musée a été en prin-cipe adopté. Mais la réalisation est fort difficile : une construction qui valait six cent mille francs avant la guerre vaut plus de deux millions aujourd’hui. Souhaitons que la ville de Bayonne sache trouver à toutes ces difficultés des solutions qui donnent satisfaction aux amis de l’art, en même temps qu’à ses légitimes tendances d’amélioration ou de modernisme. Musée Carnavalet. Carnavalet, au cours de ces derniers mois, a reçu plusieurs dons intéressants. C’est d’abord l’admirable dessin à la plume et sépia de Swebach des Fontaines, représentant la Fête de la Fédération au Champ de Mars, offert par un des bien-faiteurs les plus généreux de nos musées parisiens. M. Henri Beraldi. Nous avons pu voir aussi une très belle esquisse par Largillière, don de M. G. Bourgarel, qui représente les échevins de Paris se ren-dant auprès du jeune Louis XV et de sa fiancée l’Infante d’Espagne. C’est un document d’autant plus précieux que le tableau lui-même, commandé à l’artiste par les échevins parisiens à l’occasion du mariage projeté du jeune prince, ne fut jamais exécuté. On sait les intrigues ro-manesques et diplomatiques qui se nouè-rent autour de ces fiançailles ; le roi avait dix ans, sa fiancée cinq. Saint-Simon était parti pour l’Espagne pour négocier ce mariage et du même coup celui de la fille du Régent, Mue de Montpensier avec l’infant Don Luiz. Or l’histoire finit mal. Le duc de Bourbon et la marquise de Prie, son amie, obtinrent le renvoi brus-quedela princesse. Le roi regretta toujours sa petite infante et ne songea pas sans mélancolie à la triste fin d’une idylle qui le charmait. L’ébauche de Largillière est un magnifique morceau de peinture, vi-goureux et d’une chaude couleur ; le jeune couple se détache avec élégance sur le groupe des magistrats solennels, graves et déférents. Nous avons vu aussi un portrait au pastel de Boucher, argentier de Louis XV par Mile Vogin, un de ces petits maltres peu connus dont abonde le xviiie siècle. Plusieurs morceaux de sculpture sont venus accroltre les collections munici-pales, parmi lesquels un masque de Rochefort (don de M. E. Massard), un FIND ART DOC