458 LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE la bouche entr’ouverte, le front meurtri. La poitrine se gonfle pour rendre, avec le dernier soupir, une dernière goutte de sang. Une convulsion suprême soulève les muscles torturés. Le corps s’affaisse et tire sur les bras, tandis que les jambes se replient et se contractent. Par l’exactitude du mouve-ment comme par la vigueur de l’expression, cette statue, taillée dans le bois, est un admirable morceau. Huit ans plus tard, en 1848, Préault exécutait, à la de-mande du ministre de l’Inté-rieur, un second Christ, aujourd’hui placé à Saint-Ferdinand-des-Ternes. Cette oeuvre, moins puissante que la précédente, offre cependant encore un certain intérêt. Elle montre l’artiste soucieux de se renouveler. Elle témoigne de la souplesse de son talent. La Passion est finie. Le Christ est mort. Il ne souffre plus. Il apparaît tel que saint Jean l’a vu : calme et résigné. Dans le même temps, il tire aussi quelques ressources de la sculpture funéraire. Il exé-cute successivement, de 1840 à 1848, en collaboration avec l’architecte Lassus, le buste de l’Abbé de l’Épée, en 1840, pour son tombeau de Saint-Roch ; le médaillon de l’In-dienne 0-Ré-toi-mi, en 1845 ; le buste de l’A bbé Liculard, en 1848, pour l’église des Carmes. Mais ses deux ou-vrages les plus originaux en ce genre sont la figure du Silence, exécutée en 1843 pour le tombeau de M. Ro-bles, au Père-Lachaise, et ln figures du tombeau de l’acteur Rouvière (1848), au cimetière Montmartre. Le masque du Silence a ce caractère grave, sombre, troublant et, pour tout dire en un mot « dantesque », que recherchaient les romantiques. Michelet, dans Lc Peuple, en a fait une description émouvante : « L’horreur de la fatale énigme, le sceau qui ferme la bouche au moment où l’on sait le mot, tout cela a été saisi une fois, dans une œuvre sublime, que j’ai découverte dans une partie fermée du Père-Lachaise, au cimetière des Juifs. C’est un buste de Préault, ou, plutôt, une tête, prise et serrée dans son linceul, le doigt pressé sur les lèvres, Œuvre vraiment terrible, dont le coeur soutient à peine l’impression et qui a l’air d’avoir été taillée :du grand ciseau de la Mort. » Le Tombeau de Rouvière est d’une conception diffé-rente. Ce n’est plus une figure abstraite, c’est celle du défunt lui-même, à la veille de sa mort, qu’évoque le médaillon (le bronze en haut relief, serti dans le marbre. La tête encadrée de grands cheveux se rejette en arrière, les yeux se ferment, les joues se creusent. L’expression mor-bide est puissamment rendue. Au-dessous, un spirituel bas-relief représente l’acteur dans le rôle d’Hamlet. En dehors des ouvrages dont nous venons de parler, destinés à des églises et à des cimetières, sa production, jusqu’en 1849, se réduit à trois ou quatre morceaux es-sentiels, qui sont, par ordre chronologique :Ophélie (1843); I bbé de l’Épée (1844), statue placée à la façade de l’Hôtel CLÉbIENCE ISAURE JARDIN DI’ I l’XI,NIFIOURG. NZI/RDEIN. de Ville et détruite sous la Commune ; Clémence Isaure (1848), et un buste de Poussin, de la même année, conservé au Musée d’Amiens. Le bas-relief d’Ophélie, qui rappelle ceux de Jean Goujon par la science exquise du nu et l’interprétation des drape-ries mouillées et collées au corps, se trouve au Musée de Marseille. C’est, croyons-nous, la première traduction plastique que la main d’un sculpteur ait tentée, des vers où Shakespeare montre la pauvre amante d’Hamlet, folle de désespoir, s’aban-donnant, les bras pleins de fleurs et des chansons aux lèvres, au courant fatal qui l’emporte. Bien qu’elle n’ait été exposée qu’au Salon de 1851, cette délicieus Ophélie date de 1843 ; elle est, par conséquent, conte poraine de l’âpre figure du Silence. Il suffit de r FIND ART DOC