LA RENAISSANCE DE L’ART FRANÇAIS ET DES INDUSTRIES DE LUXE ses contemporains. Sévère pour ses concurrents, il est impitoyable pour ses bourreaux. 14 Voyez-le, écrit son ami Théophile Silvestre, affiler sa langue comme une lame de canif, un mois avant l’ouverture du Salon des Beaux-Arts. Quand il lui vient un mot, il faut qu’il le dise, contre vous, contre moi, contre lui-même… » Cependant, le public at-tend d’un artiste autre chose que des sarcasmes. Et puis, il faut vivre. Préault continue donc à produire. Toutefois, jus-qu’en 1848, il ne travaille plus guère que pour un seul client : le ministre de l’Intérieur, — c’était alors le comte Duchâtel — qui semble l’avoir pris sous sa protection et qui le charge d’abord d’une série de commandes pour diverses églises. C’est ainsi que, par la force des circonstances, il s’adonnera, pendant dix ans, à la sculpture reli-gieuse. Il exécute alors une Adoration des Mages (au-jourd’hui disparue), Une Vierge (pour la chapelle des Ursulines de Nogent-sur-Seine), une Sainte Marthe (pour l’hospice de Bergerac), un Reliquaire, commandé par M. Fro-ment-Meurice, pour l’église de la Madeleine. Mais de toutes ses pro-ductions religieuses, la plus puissante et la plus célèbre est, à coup sûr, le Christ en croix de l’église Saint-Ger-vais. Préault qui, de l’avis de l’Artiste, s’était, cette fois, « modéré tant qu’il avait pu n et « avait re-noncé à être dantesque », s’était hasardé à présenter ce morceau au Salon de 184o, mais le Jury, toujours implacable, l’avait repoussé, comme d’habitude. Pour quels motifs, on le devine. Au surplus, Préault lui-même s’en expliquait à ses disciples, dans le petit café de la rue de Fleurus où il tenait conseil : n A l’Aca-démie et à la Foire aux ânes, disait-il, on m’accuse 457 d’avoir fait un Christ trop humain. Eh bien, ils ont raison de me faire ce reproche. je le mérite et j’ai tenu à le mériter. Voyons, mes amis, le récit des Évangélistes à la main, qu’est-ce que c’est donc que le supplicié du Golgotha, que Bossuet appelle le divin pendu ?… Il était constamment mai-gre, pâle, pensif… Il a souffert autant que le fils de Marie devait souffrir. S’il en était autrement, où serait l’ceuvre de la Ré-demption (r) ?… » Quoi de plus juste et de plus sensé que la doctrine ex-primée dans ce langage ! Mais ces vérités, qui nous paraissent aujourd’hui presque banales, passaient, il y a 8o ans, pour des har-diesses subversives. C’est la destinée du réalisme. Il faut qu’il lutte pour s’im-poser aux masses. Il en a été ainsi à toutes les grandes époques de l’art. Et il est piquant de consta-ter qu’à quatre siècles de distance, les Christs fameux de Santa Croce et de Pa-doue, créés par le génie d’un Donatello, soulevèrent les mêmes objections que le Christ de Préault. Théo-phile Silvestre a conté avec humour l’odyssée, à la fois pénible et burlesque, de ce chef-d’oeuvre, successive-ment rejeté de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois refusé par le curé de Saint: Paul et in extremis accueilli par celui de Saint-Gervais, sous peine de voir l’auteur se faire mahométan. Dans la pénombre du transept où il est exposé, ce Christ n’est point en valeur. Il s’impose pourtant à l’attention et il atteste la science et la sensibilité profondes de l’ar-tiste qui l’a sculpté. Le moment choisi est celui de l’agonie. La tète, rejetée en arrière et alourdie par la souffrance, retombe sur l’épaule gauche, les yeux mi-clos, CHRIST EN CROIX. EGLISE SAINT•GERVAIS. Cl.. btr.: (i) Philibert Audeleraii(1, L’A ri, XXXI 11883). P. 263. FIND ART DOC